lundi 20 novembre 2017

Histoires de guerrières

Cet article est d’une longueur et d’une qualité inférieure à ceux que j’ai jusque-là pu écrire. Ceci est tout d’abord dû à un problème de temps, d’autant que ce mois-ci je participe au National Novel Writing Month (NaNoWriMo) où l’objectif est d’écrire 50 000 mots en un mois, ce que je fais avec un récit de fiction. Toujours est-il que, ne désirant pas délaisser mon blog, j’ai cherché des idées pour un court article et ai décidé d’inclure plusieurs histoires de femmes guerrières que j’avais souhaité mentionner dans mon mémoire mais sans pouvoir le faire par manque de place.

J’en profite d’ailleurs pour saluer les élèves de l’hypokhâgne du lycée militaire d’Aix-en-Provence, si certains passent par ici, et pour les remercier pour leur accueil lors de la présentation que j’ai réalisée devant eux.

Ainsi, dans cet article vous découvrirez les hauts faits de cinq femmes valeureuses, dont le point commun est d’avoir vécu à la fin du XVIe siècle, une période qui voit de puissants seigneurs lutter pour le contrôle d’un Japon fragmenté et où les femmes luttent hardiment pour défendre leurs terres et font aussi partie des armées. Pour plus d’informations sur le contexte, je vous incite à lire le premier paragraphe de l’article sur Yodo-dono. En effet, ces femmes guerrières ne sont pas des cas isolés mais s’inscrivent bel et bien dans une longue tradition martiale féminine. Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !


Deux épouses vaillantes


Si le nom de ces deux femmes n’est pas mentionné dans les sources que j’ai utilisées, il n’empêche que leur bravoure a été exemplaire. Pendant cette époque troublée, il arrivait souvent que des épouses de seigneurs se trouvent en charge de défendre des villes et des châteaux, notamment lorsque les hommes en étaient absents. Défendre un château, c’est aussi protéger les terres qui en dépendent et les gens qui vivent sous la protection du seigneur, l’enjeu est ainsi crucial.

L’une d’entre elles est l’épouse d’un seigneur nommé Okami Nakatsukasa et son fait d’armes prend place pendant la seconde moitié du XVIe siècle. Leur château, celui d’Ashitaka dans la préfecture d’Hitachi, se retrouve assiégé par l’ennemi. Les assaillants décident aussitôt de prendre pour cible les quartiers où vivent le seigneur et son épouse, les considérant comme les plus vulnérables, avec l’objectif de les incendier. La femme se retrouve seule à devoir agir, car son mari affronte déjà l’ennemi en un autre lieu et ne peux intervenir. Aussitôt, elle décide de rassembler ses servantes ainsi que des enfants et fait détruire certaines parties du bâtiment avant de mettre le feu aux débris. Puis, montés au sommet des remparts et placés sur les rives des douves, elle et ses alliés de fortune bombardent sans relâche l’ennemi avec ces projectiles improvisés, le forçant à se retirer. Ainsi, son intelligence et son esprit d’initiative lui ont-ils permis de défaire les meilleurs soldats de l’adversaire.

Lors du siège du château de Sunemori en 1584 par une force composée de 15 000 hommes, la femme d’Okumura Nagatomi, le maître des lieux, assume un rôle de commandement et s’impose comme un exemple de détermination martiale. Elle est ainsi une illustration des responsabilités qui incombaient aux femmes des seigneurs dans de telles situations. Une chronique de l’époque la décrit comme une personne plutôt discrète et élégante, allant jusqu’à la comparer à un saule. Pour autant, face à cette situation critique, elle met toute délicatesse de côté. En effet, la dame s’arme d’une naginata (sorte de hallebarde, arme traditionnellement utilisée par les guerrières japonaises de la classe samouraï) et, accompagnée d’une petite escorte, patrouille nuit et jour dans le château, y compris sur les murailles. Elle inspecte sévèrement le comportement de ses soldats, n’hésitant pas à réprimander ceux qui s’endorment alors qu’ils sont de garde. De la même manière, elle se montre juste, inspire et félicite ceux qui font preuve de bravoure et fait noter leurs noms. En outre, elle encourage les soldats à tenir, leur promettant l’arrivée des renforts. En effet, ceux-ci sont sauvés par l’arrivée de leur allié Maeda Toshiie qui, venant à leur rescousse, brise le siège.


 
Samouraï faisant son rapport à une femme guerrière (1893),
Yôshû Chikanobu (1838-1912)


Koman, servante héroïque


Cette histoire prend place entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe. Koman est au service de la femme d’un daimyô (seigneur féodal) de la province de Settsu. Son employeuse manie très bien les armes, comme il est attendu d’une femme de la classe samouraï,  et est également une poétesse. Or, le mari de cette femme s’attire par ses paroles la colère de Toyotomi Hideyori, le fils de Yodo-dono et est ainsi convoqué au château d’Osaka pour comparaitre devant lui. Or, l’homme s’enfuit par crainte de la punition et laisse son épouse et ses enfants au château. Koman apprend que le seigneur se cacherait au temple de Kiyomizu, à Kyôto. Elle décide aussitôt d’un plan pour permettre à sa maîtresse de s’échapper et de le rejoindre.

Traversant la rivière Yodo à la nage, elle atteint l’autre rive et y cache des sacs contenant des vêtements. Elle réussi ensuite à y emmener sa maîtresse et ses deux jeunes enfants. Koman porte le fils et la dame la fille. Là, les fugitifs se déguisent en pèlerins et se dirigent vers la capitale. Cependant, ils sont en cour de route abordés par un homme qui leur demande où ils se rendent. Les femmes répondent qu’elles vont à Kyôto, au temple de Kiyomizu.



Le temple de Kiyomizu (photo personnelle)


Alors qu’elles sont pourtant rentrées dans Kyôto, elles voient leur chemin bloqué par ce même homme, accompagné d’une troupe de bandits. Ceux-ci ont compris qu’il y avait quelque chose à tirer de ces voyageuses, seules avec des enfants, et probablement issues d’une famille aristocratique. Les femmes dégainent leurs dagues, armes que toute femme de la classe guerrière se devait d’avoir sur elle pour sa propre protection, mais les assaillants parviennent à s’emparer du fils. La mère se jette aussitôt sur le responsable mais tue également son enfant dans l’attaque. De son côté, Koman tue six hommes tandis que la dame en abat quatre autres. Cependant, la mère a été grièvement blessée pendant le combat, tandis que Koman en serait sortie indemne, et meurt avant d’arriver au temple. Koman accomplit alors les rites funéraires puis poursuit sa mission, conduisant la fille à son père.


Estampe de Yôshû Chikanobu (1838-1912) datant de 1886



Les héroïnes de Sekigahara


Nous arrivons cette fois à la fin d’une ère, lors de la campagne de Sekigahara en 1600. Celle-ci oppose le troisième unificateur du Japon, Tokugawa Ieyasu (1542-1616), à des alliés de l’autre clan influent de l’époque, les Toyotomi. En résulte une victoire des Tokugawa et l’accession d’Ieyasu au poste de shôgun en 1603, ce qui fait de lui le maître du pays, installant son nouveau gouvernement à Edo. Beaucoup de femmes ont joué un rôle clef dans cette très longue campagne et dans la défense de postes stratégiques.

Parmi elles, l’habile et déterminée Sanada Komatsuhime (1573-1620) dans sa défense du château de Numata et dont j’ai développé l’exemple dans mon mémoire. Elle est la fille adoptive de Tokugawa Ieyasu et l’épouse de Sanada Nobuyuki, allié des Tokugawa. Or, le beau-frère et le beau-père de Komatsuhime l’assiègent au château de Numata. Son beau-père lui demande de le laisser entrer dans le château sous prétexte de pouvoir rendre visite à ses petits-enfants, Komatsuhime rétorque que si les Sanada tentent de prendre ce château par la force elle le fera incendier et se suicidera. La menace fonctionne et les deux assiégeants se retirent au château d’Ueda, où ils sont par la suite acculés par l’armée des Tokugawa. Komatsuhime arrange alors un stratagème avec son mari : puisqu’il s’agit d’une bataille opposant deux branches d’un même clan, il se peut que leurs hommes aient des proches dans le château assiégé et cela risque de mettre à mal leur détermination. La dame et son mari négocient afin que les civils puissent quitter Ueda, sous prétexte de vouloir épargner leurs vies, et leur offrent d’entrer dans le château de Numata où elle les prend en réalité en  otage.



Portrait de Sanada Komatsuhime


La femme de Sanada Nobuyuki (1886), Yôshû Chikanobu (1838-1912)

Mais il faut également compter avec Yuki no Kata qui défend le château d’Anotsu pour le compte de son mari Tomita Nobutaka alors qu’elle est assiégée par des ennemis des Tokugawa. Yuki no Kata parvient non seulement à tenir le siège mais sa défense est un succès puisqu’elle repousse l’ennemi.

Tomita Nobutaka et sa femme (1885), Tsukioka Yoshitoshi (1839-1892)

Enfin, il faut compter également avec un exemple singulier mais tout aussi intéressant, celui de Tachibana Ginchiyo, la nonne guerrière de Yanagawa. Cette fois le combat prend part au Sud du Japon, sur l’île de Kyûshû. Tachibana Muneshige, le daimyô (seigneur féodal) de Yanagawa est un allié d’Ishida Mistunari, le meneur du clan pro-Toyotomi. Voyant la situation lui devenir défavorable, il se retire sur ses terres et Tokugawa Ieyasu envoie ses troupes pour le traquer.  Celles-ci prennent peu à peu le contrôle de Kyûshû et c’est finalement le château de Yanagawa lui-même qui devient la cible de l’attaque. C’est sans compter l’intervention de l’ex-femme de Tachibana Muneshige, Ginchiyo. Celle-ci est une forte personnalité : en effet elle avait précédemment occupé la tête du clan Tachibana pendant six ans avant son mariage.



Portrait de Tachibana Ginchiyo

Depuis sa séparation avec son époux, Ginchiyo est devenue une nonne bouddhiste et réside dans un couvent au sud du château de Yamagawa. Elle décide de voler au secours de son ancien mari, revêt une armure, et entraîne ses consoeurs religieuses dans une résistance armée afin de freiner la progression de l’ennemi. S’il existe très peu de traces décrivant exactement les mesures défensives prises par Ginchiyo, ils n’empêche que celles-ci ont été suffisamment convaincantes. Il est intéressant de constater que les deux commandants en charge de l’assaut avaient au cour de leur carrière déjà été confrontés à des femmes guerrières. L’un d’entre eux est en effet Nabeshima Katsushige, désormais rallié aux Tokugawa, qui a par exemple affronté Yuki no Kata lors du siège d’Anotsu. Toujours est-il que ce facteur les a sans doute encouragés à la prendre aux sérieux.

Face à la résistance inattendue de Ginchiyo, l’ennemi propose à l’ex-mari de cette dernière de négocier une trêve avec eux, d’autant que Muneshige avait combattu aux côtés de ses assaillants lors de la tentative d’invasion de la Corée lancée par Toyotomi Hideyoshi (1537-1598), le précédent unificateur du Japon. Il lui proposent donc de se rendre et de s’allier avec eux pour combattre un autre fugitif, ce que Muneshige accepte.

J’espère que vous avez malgré tout apprécié ce petit article sans prétention. Pour le prochain, nous retournons à l’ère Heian pour rencontrer une poétesse contemporaine de Sei Shônagon, connue pour sa sensibilité…et une réputation scandaleuse.

Articles liés :

Yodo-dono

Kôdai-in

Hosokawa Gracia

Kasuga no Tsubone


Bibliographie

Sur l’histoire japonaise

BEARD, Mary R., The force of women in Japanese history, Washington, D.C, Public affairs press, 1953.

TURNBULL Stephen, Samurai women 1184-1877, Oxford, Osprey Publishing, 2010.

Source additionnelle : Interview du créateur d’un jeu vidéo japonais sur la période


SAINSBURY Matt, Game art : art from 40 video games and interviews with their creators, San Francisco, No Starch press, 2015.

7 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. Très bon article et bravo pour avoir résumé aussi efficacement le contexte historique à chaque fois.
    Ginchiyo Tachibana fait partie des personnages charismatiques de la période Sengoku sur lesquels je n'ai pas encore fait de recherches et je comprends mieux les représentations de sa relation (compliquée) avec Muneshige maintenant.
    Bonne continuation ! :)
    (et désolé du commentaire précédent supprimé, j'ai eu un bug de connexion :p )

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    1. Merci beaucoup pour ce commentaire très positif :)
      Concernant Ginchiyo il y a très peu d'informations sur elle en anglais et encore moins en français. Ce que je trouve dommage par ce que j'aimerai en savoir plus, notamment sur la période pendant laquelle elle a dirigé son clan (ce qui me donne envie d'améliorer mon japonais au plus vite). Encore merci et n'hésite pas à me donner ton avis si jamais tu repasses par ici pour lire d'autres articles :)

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    2. Haha, bon courage pour ton japonais, c'est sûr que ça te permettra d'accéder à bien plus d'informations ! Au moins, d'ici là, tu as encore du choix parmi d'autres femmes célèbres.
      Et je repasse à chaque fois avec plaisir même si ça ne fait que depuis trois articles de ce site que je te suis sur tumblr (Onna Musha).
      Continue ton super boulot et bon courage pour la suite ;)
      (et je ferai peut être appel à tes conseils le jour où j'aurai le courage de m'attaquer à ma chronique sur les shinobi et les kunoichi sur mon propre site :p )

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    3. Disons que j'ai un niveau de japonais plutôt standard il me faut encore progresser pour lire des informations historiques (mais c'est bon but). Oui j'ai encore beaucoup de femmes à traiter ma liste est assez conséquente ;)
      Aaah tu viens de tumblr, je me disais bien que je t'avais vu passer dans les personnes qui avaient liké mon post. Merci en tout cas :) Et pas de soucis, j'ai quelques informations sur les kunoichi :D

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  3. Encore un très bon article, comme toujours :3

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