mercredi 21 mars 2018

Tabei Junko, une femme au sommet de l'Everest

La première femme à avoir gravi l’Everest est Japonaise. Pour ce premier article de 2018 je vous propose de découvrir le parcours de Tabei Junko (1939-2016), rendant ainsi un hommage posthume à sa détermination. Je tiens également à présenter mes excuses à mes lecteurs pour ce retard dans la publication de cet article. Je me trouve actuellement au Japon depuis début mars. Maintenant je suis bien installée dans ma nouvelle vie, la parution de nouveaux articles devrait reprendre un rythme beaucoup plus régulier.

Photo de Tabei Junko (source : *)


Une enfance provinciale


Junko est née le 22 septembre 1939 dans une famille de sept enfants originaire de la province de Fukushima. Les premières années de sa vie sont néanmoins impactées par la Seconde Guerre mondiale et ses conséquences, lesquelles affectent durement le niveau de vie de sa famille. Junko est d’ailleurs souvent malade durant son enfance. Elle ne grandit pas au-delà du mètre quarante-sept.

Junko a déclaré avoir eu horreur du sport pendant son enfance. Pourtant, cet état de fait change lorsqu’elle gravit, à l’âge de 10 ans, un volcan de sa région natale lors d’une sortie scolaire. Elle s’entraîne par la suite en escaladant les collines de son village et continue de pratiquer pendant toute sa scolarité.

Elle part ensuite étudier la littérature anglaise et américaine à Tokyo en 1958, obtient son diplôme en 1962 et devient professeur. En parallèle, elle décide de rejoindre un club d’alpinisme. L’alpinisme d’après-guerre commence à s’ouvrir de plus en plus aux femmes, différents clubs créent leurs branches féminines, et ce dès 1949. Cette discipline devient un moyen pour les Japonais d’envisager de nouveaux horizons après la défaite et le traumatisme de la guerre. Cependant, la société japonaise est encore très marquée par le sexisme et les stéréotypes. La réaction des camarades masculins de Junko n’est en effet pas des plus enthousiastes. Si certains parmi les plus âgés lui expriment leur soutien, les plus jeunes au contraire sous-entendent parfois qu’elle est  simplement là dans le but de trouver un mari.

Photo de Junko prise vers 1961 (source : *)



Mener les femmes au sommet


Elle continue néanmoins de s’entraîner et développe ainsi un véritable gout pour la discipline. Elle fonde un club d’alpinisme féminin à Tokyo en 1969 (Joshi Tohan Kurabu). Entre-temps, elle s’est mariée en 1966 avec un confrère alpiniste, Tabei Masanobu, rencontré pendant l’ascension du dangereux mont Tanigawa. La mère de Junko avait émis sa désapprobation : Masanobu n’était diplômé d’aucune université. Leur fille, Noriko, est née en 1972. Son objectif s’affirme ainsi peu à peu : gravir les plus hautes montagnes de l’Himalaya avec une équipe intégralement composée de femmes, une chose sans précédent. Cependant, il lui faut composer avec plusieurs contraintes : la difficulté de prendre des congés, mais aussi le manque de fonds. À cette époque, Junko travaille en tant que rédactrice en chef dans un journal scientifique et donne en plus des leçons d’anglais et des cours de piano.

C’est en 1970 qu’elle participe sa première expédition dans l’Himalaya, sur l’Annapurna III au Népal. L’équipe est intégralement féminine, bien qu’accompagnée par des sherpas, et menée par Miyazaki Eiko. Junko persévère face aux chutes de neige et atteint le sommet le 19 mai, il fait alors si froid que la pellicule de leur appareil photo se rompt. Ce succès est désormais pour elle un point de non-retour : elle veut désormais dédier sa vie à conquérir des sommets.

Junko sur l'Everest (source : *)


L’ascension de la plus haute montagne du monde


C’est en 1975 que Junko entreprend de gravir l’Everest. Elle obtient son permis auprès du gouvernement népalais en 1973, mais doit attendre car les autorisations sont délivrées au compte-gouttes. Pour cela, elle a mis en œuvre toutes ses qualités, remplissant à toute vitesse les documents (en anglais) requis pour  mener à bien son expédition. Là encore, elle doit faire face à des contraintes d’ordre financier : il lui est en effet très difficile de convaincre des sponsors, beaucoup pensant qu’une expédition composée de femmes est immanquablement vouée à échouer. Elle s’entend dire de rester à la maison et de s’occuper de son enfant plutôt que de rêver de tels projets. Junko a plus tard évoqué cette présomption d’incompétence à laquelle elle a fait face, expliquant par exemple que les journaux de l’époque se moquaient des femmes alpinistes comme elle, montrant des photos d’elles entrain de mettre du baume à lèvres afin de les dépeindre comme incapables de se passer de maquillage, même en montagne.

Ainsi, les femmes de l’équipe doivent mettre en œuvre la majorité des préparatifs par elles-mêmes, notamment en cousant leurs propres sacs de couchage. Si certaines contributions de dernière minute leur sont apportées par le journal Yomiuri Shinbun, chacune des participantes de l’expédition a néanmoins dû débourser environ l’équivalent d’un salaire annuel moyen.

Si Junko était connue pour être une femme très endurante, une de ses camarades raconte ne l’avoir vu souffrir qu’une seule fois de mal aigu des montagnes lors d’une expédition en 1982, il convient de rappeler l’ampleur du défi qu’elle s’est lancé. L’Everest est en effet la plus haute montagne du monde et culmine à 8848 mètres. C’est le 4 mai 1975 que Tabei Junko commence son expédition accompagnée d’une équipe de 14 femmes. Très vite, elles font face aux dangers que leur réserve la montagne. Arrivées à 6500 mètres, les alpinistes sont prises dans une avalanche alors qu’elles viennent d’installer leurs tentes. Junko se retrouve bloquée la tête enfouie dans les cheveux de l’une de ses camarades, incapable de se dégager malgré ses efforts. Elle s’évanouit pendant plusieurs minutes. À son réveil, elle a la chance de constater que toutes ses équipières en ont réchappé grâce à l’intervention providentielle de sherpas.

Bien que blessée dans l’avalanche, elle est incapable de tenir debout pendant deux jours, Junko n’abandonne pas l’ascension, même si elle doit parfois ramper. Le 16 mai 1975, elle atteint le sommet qu’elle décrira comme « plus petit qu’un tatami ». Tabei Junko a réussi son objectif : elle est la première femme à avoir triomphé de l’Everest. Outre sa détermination, Junko est également connue pour être une femme presque timide, sensible et empathique et ce trait de personnalité c’est plusieurs fois exprimé au cours de son aventure. Elle s’est par exemple mise à pleurer lors de la fête dédiée au succès de leur expédition.

Junko sur le sommet de l'Everest (source : *)



Une icône pour les femmes japonaises


Cette réussite propulse Junko au rang d’icône et elle attire très vite l’attention des médias, chose qu’elle n’apprécie guère. En outre, Junko devient en quelque sorte un modèle pour les femmes japonaises dans une société qui commence à encourager les figures féminines plus actives. Si ses choix peuvent paraître en rupture avec les valeurs traditionnelles : elle part en montagne et laisse sa fille à son mari etc., Junko fait néanmoins preuve d’un certain conservatisme, elle se décrit comme une « simple femme au foyer ». Cette modestie la lie à des figures typiques de mère et d’épouse et contribue à son succès, beaucoup plus que si elle s’était présentée en rupture avec tous ces carcans. Ce n’est pas tout, si elle se définit ainsi, c’est également par ce qu’elle ne veut pas considérer sa passion comme un travail.

Junko  en pleine ascension en 1985 (source : *)


Son exploit connaît un très fort retentissement, à la fois au Japon et à l’international et de nombreuses autres femmes marchent sur ses traces dans les montagnes de l’Himalaya.  C’est par exemple le cas de la Britannique Alison Heargraves qui atteint le sommet de l’Everest seule et sans oxygène.

Junko finit néanmoins par comprendre ce qu’elle représente pour les femmes et présente l’alpinisme comme son métier, notamment lorsqu’on lui demande de remplir des formulaires où il finit par noter sa profession comme « alpiniste » au lieu du « femme au foyer » qu’elle inscrivait auparavant. Et en effet, les nombreuses activités de Junko prouvent qu’elle en a fait un choix de vie et un véritable investissement.


La conquête de nouveaux horizons


Junko s’investit en effet dans de nombreuses causes et activités sociales. En 1990, elle contribue à la création du  Himalayan Adventure Trust of Japan, qu’elle a dirigé, luttant pour la préservation des montagnes et des environnements naturels. Elle est également à l’origine de nombreux évènements, tels que des symposiums sur la défense de l’environnement montagnard, un sommet sur les femmes dans l’alpinisme en 1995…et la liste est encore longue. Elle se montre extrêmement préoccupée par l’impact croissant des activités humaines sur les montagnes, notamment l’Everest. Un autre combat lui tenant à cœur et d’encourager plus de personnes à se tourner vers l’alpinisme et à suivre leurs rêves. Elle a d’ailleurs publié plusieurs livres, narrant son histoire ainsi que les dangers dont elle a triomphé au cours de son parcours.

Tabei Junko (source : *)


Qui plus est, Junko est loin de renoncer à l’alpinisme et se lance toujours plus de nouveaux défis. Plusieurs des plus aux sommets du monde figurent également à son palmarès. Notamment le mont McKinley aux États-Unis (6194 mètres), le Kilimandjaro (5893 mètres) et bien d’autres encore, en Amérique du Sud, en Europe et en Australie. Elle brave notamment les avalanches et manque de perdre la vie en 1986 alors qu’elle se lance à l’assaut du mont Tomur en Chine. En 1992, elle devient la première femme à avoir terminé l’ascension des plus hauts sommets sur les sept continents.

Junko est motivée par le fait de se dépasser et de relever des défis, non pas par l’aspect médiatique de sa pratique. Une femme modeste, Junko apprécie le fait que l’alpinisme ne mette pas le grimpeur en compétition avec les autres mais avec lui-même, le poussant à se dépasser toujours plus En 1999, après avoir grimpé le  Pic de Pobeda au Kirghizistan, haut de  7439 mètres, ainsi que quatre des plus hautes montagnes de l’ex-URSS, elle est récompensée par l’Ordre du Léopard des Neiges, une distinction pour ceux qui ont gravi ces cinq sommets, alors qu’elle est sur le point d’atteindre ses soixante ans.

En 2012, Junko apprend qu’elle souffre d’un cancer de l’estomac. Cela ne met pas pour autant un frein à ses nombreuses activités et continue de pratiquer l’alpinisme au Japon à l’étranger. En juillet 2015, elle réalise une action particulièrement notable en amenant des jeunes gens affectés par la catastrophe du 11 mars 2011 en expédition sur le mont Fuji. Elle décède finalement le 20 octobre 2016, à l’âge de 77 ans, sans avoir jamais renoncé à ses rêves, sa passion ou ses convictions, sans avoir laissé ceux qui voulaient lui faire croire que cela était impossible la limiter.

Junko lors de son excursion au mont Fuji (source : *)


Le prochain article suivra le parcours d’une chrétienne intelligente et déterminée dans une époque de guerre et de persécutions.

Pour aller plus loin :

-Liste des sommets gravis par Tabei Junko sur son site officiel.


Bibliographie :


Livres

Kitamura Setsuko, « Introduction », dans : Tabei Junko, Rolfe Helen Y. (trad.),  Honouring high places : the mountain life of Junko Tabei, Victoria, Rocky mountain books, 2017, 376 pages.

McLoone Margo, Women Explorers of the Mountains: Nina Mazuchelli, Fanny Bullock Workman, Mary Vaux Walcott, Gertrude Benham, Junko Tabei, North Mankato, Capstone press, 1999, 48 pages.

Messner Reinhold, Boulard Claire (trad.), Femmes au sommet, Paris, Arthaud coll. « Traversée des mondes », 2011, 235 pages.

Schiot Molly, Game changers: the unsung heroines of sports history, New York, Simon & Schuster, 2016, 320 pages.

Tabei Junko, Rolfe Helen Y. (trad.),  Honouring high places : the mountain life of Junko Tabei, Victoria, Rocky mountain books, 2017, 376 pages.


Presse

Douglas Ed, « Junko Tabei obituary », The Guardian, 10 novembre 2016, Accessible depuis : https://www.theguardian.com/world/2016/nov/10/junko-tabei-obituary, consulté le 21 mars 2018.