samedi 25 août 2018

Shôken : impératrice d'une nouvelle ère

Si l’histoire du Japon vous est ne serait-ce qu’un peu familière, vous avez sans doute entendu parler de l’empereur Meiji (1852-1912), dont le règne correspond à la fois à la restauration du pouvoir impérial mais aussi à l’ouverture du Japon et à son entrée dans une nouvelle ère d’internationalisation. Mais connaissez-vous sa femme ? Je vous propose de découvrir le parcours de Shôken (1850-1914), impératrice d’un nouveau genre.


L'impératrice Shôken (source : *)



Enfant prodige


Shôken nait dans une famille de la haute noblesse de Kyoto, l’une des cinq parmi lesquelles les consort des empereurs sont habituellement choisies. Elle est la plus jeune des trois filles du noble Takada Ichijô et reçoit à ce titre une éducation élitiste et aristocratique qu’elle assimile à la perfection. Ainsi, elle sait lire dès l’âge de trois ans, composer de la poésie à cinq ans, elle apprend la calligraphie à sept ans et à jouer du kôto (une sorte de cithare de forme oblongue) à douze. En outre, elle maîtrise l’également l’ikebana, l’art de la composition florale, et celui du sadô soit de la cérémonie de thé. 

A noter que le nom de Shôken qui est employé dans cet article pour la désigner est celui qui lui a été donné à titre posthume. Elle est ainsi connue de son vivant  en tant que Fukihime, puis Haruko après son mariage avec l’empereur.

L'impératrice revêtue de la tenue traditionnelle 
des femmes de la noblesse
(source : *)


La restauration de Meiji


La restauration de Meiji prend place dans le cadre de la guerre de Boshin, qui voit le shôgunat renversé par les forces de l’empereur Meiji, lequel fait d’Edo, renommée Tokyo, sa nouvelle capitale. La source des tensions ayant conduit à ce conflit se situe principalement dans l’arrivée des Américains au Japon en 1853 et 1854, alors que le pays avait été jusque-là presque complètement fermé à l’extérieur. Devant la puissance étrangère, le Japon n’a d’autre choix que d’accepter de s’ouvrir. Le pays réalise également le caractère limité et dépassé de son armement. De là, différentes factions vont se créer quant aux moyens à adopter, le shôgun ayant vu sa légitimité s’effondrer au moment où il a cédé face aux Américains. La restauration d’un pouvoir impérial fort s’impose alors comme une solution, notamment pour les domaines de Satsuma et Chôshû. 

Conscient de la pression et de la nécessité d’une réforme, le jeune shôgun Tokugawa Yoshinobu avait décidé en décembre 1867 de restituer ses pouvoirs au nouvel empereur, soit l’empereur Meiji. Les armées se Satsuma et Chôshû, après deux premières campagnes les opposant au pouvoir shôgunal, proclament le 3 janvier 1868 la restauration du pouvoir impérial après un coup d’État à Kyoto et marchent sur Edo avec l’empereur, laquelle est occupée en mars 1868. Cependant, d’autres batailles vont être nécessaires afin d’établir la main mise de ce nouveau régime sur le pays, car certains domaines guerriers restent fidèles au shôgunat, c’est le cas d’Aizu dont la défense du château est le théâtre de nombreux actes de bravoure, notamment de la part de femmes combattantes.


Portrait de l'empereur Meiji (source : *)



Impératrice consort


C’est dans ce contexte troublé que Shôken épouse l’empereur Meiji en janvier 1869.  Mais il y a un obstacle : elle est âgée de trois ans de plus que lui et il s’agit d’un nombre considéré comme néfaste. La date de naissance de Shôken est donc modifiée afin d’éviter de vouer cette union au malheur, ce qui fait que l’empereur a seize ans et elle officiellement dix-huit (et donc en réalité dix-neuf) lors de leurs épousailles. 

Shôken est la première femme à recevoir simultanément les titres de nyôgo (épouse impériale) et de kôgô (impératrice consort, ce qui donne la prééminence sur les autres épouses de l’empereur) depuis des centaines d’années. Les femmes qui l’ont précédée recevaient d’abord le premier titre, puis étaient éventuellement élevées au second a posteriori. Le rôle qui l’attend est par ailleurs tout à fait différent de celui des impératrices d’antan. Son éducation ne l’a pas véritablement formée à cela, en effet, Shôken a été façonnée par le protocole de la cour de Kyoto.

Cependant, le pays est précipité dans une spirale de changement. Désormais, Shôken et son époux doivent vivre dans la nouvelle capitale. Le mode de gouvernement est désormais repensé, avec un empereur qui ne doit pas être laissé dans l’ignorance comme lorsque le shôgun gouvernait le pays et devant pouvoir s’impliquer dans les affaires d’état. Il est également attendu de son épouse qu’elle puisse comprendre les enjeux de l’époque. Son rôle n’est pas de passer sa vie dissimulée dans le palais impérial, avec pour seul but de donner un héritier à la dynastie. Shôken doit alors faire face à un défi inédit pour une femme de son rang : être une figure publique, moderne, incarner auprès des étrangers l’unité de la nation.

Elle et ses dames de compagnie assistent ainsi aux leçons qui sont données à l’empereur par ses conseillers. Il lui faut ainsi devenir la femme la mieux informée du pays. Shôken sait par la suite mettre à profit tout cela pour défendre un certain nombre de causes sociales.


Une femme de son temps


L’impératrice n’hésite ainsi pas à bousculer les codes en se vêtant à l’occidentale, c’est d’ailleurs ainsi qu’elle est souvent représentée sur des estampes ou des œuvres d’art, marquant ainsi la transition avec l’ancien âge de la cour. Elle se montre être un véritable soutien pour son mari. Elle est perçue par ses contemporains comme : « Une femme remarquable par ses actions et une personnalité déterminée ». Elle inspire entre autres des réformes de la cour impériale.

L'impératrice Shôken en costume occidental, (1880), 
Yôshû Chikanobu


Elle embrasse ainsi la nouvelle fonction qui est la sienne, reçoit les diplomates étrangers en visite au Japon, organise des réceptions, assiste à des réunions aux côtés de l’empereur et se déplace avec lui lors des visites officielles dans des écoles, des usines, ainsi que pour assister à des manœuvres militaires. 

Shôken continue de faire montre de ses talents et produit une œuvre poétique conséquente, composée de non moins de trente mille poèmes, bien qu’il faille préciser qu’il s’agit de waka de cinq lignes et que certaines de ces compositions réutilisent les mêmes phrases. En comparaison, l’empereur n’en produit « que » dix mille. Des œuvres calligraphiées de sa main sont actuellement conservées au sanctuaire Meiji Jingû, à Tokyo. Ces écrits, ainsi que ceux de l’empereur, jouent un véritable rôle sacré. L’une des créations de l’impératrice a ainsi inspiré une danse donnée au sanctuaire en 1950. Aujourd’hui, les visiteurs peuvent également y tirer des cartes sur lesquelles sont inscrits les poèmes en question. Je n’ai malheureusement pas trouvé de traduction française de ceux-ci, uniquement des versions anglaises pour quelques uns d’entre eux : 

Every morning
We gaze into our mirrors
Which are unblemished
Oh, that we could attain
Such purity of soul

By helping each other
With the mean we each possess,
We can come to know
That the four seas of this earth
Were born to one mother

Du côté de sa vie privée, tous les enfants de Shôken meurent dans leur enfance. Elle adopte alors le fils de l’une des douze concubines de l’empereur, Yanagiwara Naruto (1859-1943), le futur empereur Taishô (1879-1926). Bien que n’étant pas liée à lui par le sang, l’impératrice est officiellement considérée comme la mère de l’enfant. 

Estampe représentant la légendaire impératrice Jingû (à gauche), Yanagiwara Naruko (assise) et l'impératrice Shôken, 1878, artiste inconnu.


Des deux poèmes sélectionnés, le second révèle une nature altruiste. Ce terme peut en effet très bien servir à qualifier l’action de Shôken. En effet, comme souligné précédemment dans l’article sur Ogino Ginko, l’ère Meiji ne marque pas une amélioration du statut des femmes japonaises. Bien au contraire, celles sont poussées avant tout dans des rôles d’épouses et de mères et exclues de la politique. Néanmoins, l’impératrice va se servir d’œuvres caritatives et de bienfaisance pour faire progresser la cause des femmes.


Un soutien à l’éducation féminine


L’accès de celles-ci à l’éducation est l’une des préoccupations majeures de Shôken tout au long de sa vie. Ainsi le 9 novembre 1871, elle reçoit trois jeunes filles qui se voient confier la délicate mission de partir vivre et étudier aux Etats-Unis. L’impératrice souhaite en effet que plus de représentantes de son sexe puissent accéder aux études supérieures. Elle contribue ainsi à la création de deux universités féminines : l’université Gakushuin et l’université d’Ochanomizu.

Elle écrit également un livre intitulé Femmes modèles afin de promouvoir ses idéaux. Celui-ci se présente comme un hommage aux femmes des générations passées et à l’impact  de leurs accomplissements sur celles qui présentement cherchent à construire un monde meilleur. L’impératrice s’y montre consciente de l’importance d’impliquer les femmes dans la construction d’un pays prospère.

L'impératrice apprenant à lire à des enfants, 1887, 
Toyohara Kunichika


Ce n’est pas tout, Shôken s’engage également en faveur des défavorisés, des pauvres et des blessés et l’écho de son engagement est encore perceptible de nos jours.

De multiples œuvres de bienfaisance


Shôken préside le comité des bienfaitrices de l’hôpital Jikei-kai, lequel offrait gratuitement des soins aux personnes les plus nécessiteuses. En outre, elle contribue également financièrement au bon fonctionnement de cette institution. L’impératrice devient ainsi le symbole de l’action de la maison impériale en faveur des démunis. 

Elle s’investit également dans des causes humanitaires et donne des sommes très généreuses à plusieurs organisations. En janvier 1896, pendant la guerre sino-japonaise, elle écrit au ministère des armées pour l’informer de sa décision de financer par ses propres moyens des prothèses pour les soldats ayant perdu des membres pendant le conflit. Cette initiative ne concerne au début concerne que 167 hommes et 9 prisonniers de guerre, mais l’impératrice la réitère pendant la guerre russo-japonaise de 1904-1905. Elle inaugure ainsi une tradition qui se poursuit jusqu’à la Seconde guerre mondiale.

Sa contribution la plus importante reste une donation à la Croix-Rouge, ce qui amène à la création d’un fonds qui existe toujours aujourd’hui, le Fonds de l’impératrice Shôken, crée en 1912. Celui-ci a pour mission de venir en aide aux populations afin de construire et d’enraciner la paix. La famille impériale et le gouvernement japonais y contribuent toujours, en souvenir de l’altruisme de l’impératrice. Les décisions prises par le fonds sont d’ailleurs annoncées le 11 avril de chaque année, la date de la mort de sa fondatrice.

En 1912, l’empereur Meiji décède. Shôken devient alors impératrice douairière, kôtaigô. Elle meurt finalement en 1914 et est enterrée à Kyoto. Son souvenir et celui de son époux sont commémorés au sanctuaire Meiji Jingû à Tokyo.

Le sanctuaire Meiji Jingû (photo personnelle)


Propulsée sur la scène publique dans une période de turbulence, Shôken a dû s’adapter à un rôle auquel elle n’avait pas été préparée. Néanmoins, il est indubitable qu’elle a su s’en emparer et contribuer elle aussi à faire entrer son pays dans une nouvelle ère. Ses réalisations soulignent d’ailleurs sa grandeur d’âme. Même dans une époque hostile à leurs droits, elle a porté la cause des femmes et de leur accès au savoir.

Pour le prochain article, je vous propose de voter dans les commentaires pour l’une de ces quatre personnalités :

-Nene ( ?-1624) : épouse légitime de Toyotomi Hideyoshi, femme de pouvoir qui s’opposa à Yodo-dono.

-Zenshin-ni (VIesiècle): première religieuse bouddhiste du Japon (hommes et femmes confondus). A voyagé en Corée pour y recevoir les enseignements de sa foi.

-Kasuga no Tsubone (1579-1643): Nourrice et éminence grise du shôgun Tokugawa Iemitsu. Femme cruelle à l’intelligence politique redoutable.

-Jitô Tennô (645-703) : Puissante impératrice régnante, comparée à une divinité. Femme d’état habile, elle est à l’origine de nombreuses réformes.

En vous remerciant pour votre lecture, je vous dis à la prochaine fois ! 


Articles liés 




Sources web 


« About the fund », Empress Shôken fund, repéré à : http://shokenfund.org/the-fund/index.html

« The empress », Empress Shôken fund, repéré à : http://shokenfund.org/empress/index.html

« Waka poetry », Meiji Jingû, repéré à : http://meijijingu.or.jp/english/about/8.html


Bibliographie

Imaizumi Yoshiko, Sacred space in the modern city : the fractured pasts of Meiji shrine, 1912-1958, Leiden,Brill, 2013.

Martin Peter, The chrysanthemum throne : a history of the emperors of Japan, Honolulu, University of Hawaii press, 1997.

Nimura Janice P., Daughters of the samurai: a journey from East to West and back, New York, W.W Norton, 2015.

Pennington Lee K., Casualties of history : wounded Japanese servicemen and the Second world war, Ithaca, Cornell university press, 2015.

Sugiyama Lebra Takie, Above the clouds : status culture of the modern Japanese nobility, Oakland, University of California press, 1995.

Yamaguchi Momoo, える江の文化京の,Tokyo, Shanshusha, 2017.

 

 











3 commentaires:

  1. Superbe article comme d'hab quoi :D C'était un plaisir d'apprendre plus sur l'impératrice Shôken, je ne savais pas quand elle s'est tellement investie envers les défavorisés et l'éducation des femmes ! Le fait qu'elle appris si vite son nouveau rôle d'impératrice des temps modernes force le respect ! Et ses poèmes pfff elle ne chomait vraiment pas XD

    Pour le prochain article, je vote pour Zenshin-ni ! :D

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  2. Omedeto ! Encore un super article ! Je vote pour Zenshin-ni

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  3. Bonjour à tous, cela a vraiment fonctionné et je suis fier de témoigner également. Mon mari m'a quitté pour une autre fille. Je me sentais très mal, mais je m'attendais à ce qu'il revienne vers moi. Un jour, j'ai vu un message sur la manière dont une femme a rencontré son mari et j'ai décidé d'essayer ce prophète qui l'a aidée parce que ma relation avait échoué. Bien que je n'aie jamais cru au travail spirituel. J'ai essayé à contrecoeur parce que j'étais désespérée, mais à ma grande surprise, ce prophète m'a aidé et ma relation est maintenant parfaite car elle m'a permis de traiter mon mari comme une reine, même s'il m'a dit qu'il ne m'aimait plus. Eh bien, je ne peux pas en dire plus, mais si vous avez des problèmes avec votre relation, voici l'adresse e-mail (palaceofsolutions@gmail.Com). Votre partenaire va certainement revenir à vous .. Ou contactez son Whatsapp @ +2348138513961

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