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Vous avez voté et la gagnante est Zenshin-ni (née vers 574- date de décès inconnue), la première personne à être devenue religieuse bouddhiste au Japon, hommes et femmes confondus. Jeunes fille précipitée au cœur d’une lutte de pouvoir, elle ne renonce pas à sa foi malgré les épreuves qu’elle doit affronter et joue un rôle essentiel dans l’enracinement et la diffusion de sa religion dans l’archipel. Cet article est un peu plus court que les autres mais les détails de sa vie sont peu nombreux, j’espère qu’il vous plaira quand même.
Statue de la nonne Chujô-hime, époque d'Edo (source : *)
L’arrivée du bouddhisme au Japon
Jusque-là, le Japon ne connaissait que sa religion indigène, le shintoïsme, un culte animiste fondé sur la croyance en des divinités nommées kami. Le fait est qu’une autre foi se diffuse chez ses voisins, il s’agit du bouddhisme. Celui-ci se propage en Chine dès le Iersiècle et atteint les royaumes coréens à partir du IVe. L’un d’entre eux, Silla, en fait d’ailleurs sa religion officielle aux alentours de 535. Si des moines venus de la péninsule ont déjà commencé à prêcher dans l’archipel, le débat sur le bouddhisme commence véritablement à partir de 538 (ou de 552) car le roi de Paekce (un autre royaume coréen) fait parvenir à l’ôkimi (titre du dirigeant japonais, l’appellation empereur/tennô n’existait pas encore à cette époque) une statue du Bouddha accompagnée de soutras.
Cet événement déclenche alors une vive querelle. Quelle place faut-il donner à ce culte étranger ? Des factions vont alors s’opposer, entre pro et anti bouddhisme. D’un côté le clan Soga, qui se montre favorable à cette religion, et de l’autre les Mononobe qui considèrent qu’adopter un culte étranger risque de provoquer le courroux des kami, d’autant que cette famille était en charge des cultes shintoïstes et ne veut pas perdre son prestige. La réalité est néanmoins plus complexe que cela, il apparaît que les Mononobe vénéraient eux aussi le Bouddha de manière privée. Si la religion est l’une des causes de cette opposition, elle sert également de prétexte à cette lutte de pouvoir.
L’avènement d’une nonne
Néanmoins, les Soga restent minoritaires dans leur attachement au bouddhisme et des répressions ont lieu en 569 suite à une épidémie. Des temples et des pagodes sont ainsi détruits. Saga no Umako, l’oncle de l’ôkimi Suiko, possède une statue bouddhique venue de Paekce et souhaite lui rendre un culte. En outre, il est malade et pense que cela peut l’aider à se rétablir. Il fait ainsi construire un sanctuaire dans sa demeure. Cependant, il lui faut quelqu’un pour s’occuper des prières et des cérémonies. Une jeune fille de onze ans (ou de douze ou dix-sept selon les sources) est choisie pour cela. Elle se nomme Shima et est la fille Shiba Tatto, un immigré venu de Chine. Elle devient alors nonne sous le nom de Zenshin-ni (soit « nonne Zenshin ») et est ainsi la toute première religieuse bouddhiste ordonnée au Japon. Deux autres jeunes filles, Ishime et Toyome, deviennent nonnes à sa suite et prennent respectivement les noms de Ezen-ni et Zenzô-ni. Un ancien moine venu de Corée est là pour les former les aider à remplir leur mission. Dans les faits, cette ordination ne respecte pas les règles traditionnelles du bouddhisme puisqu’il aurait fallu la présence de dix moines et de dix moniales pour mener à bien la cérémonie.
Le fait que ce soit une femme qui ait été choisie pour cette fonction n’a rien d’anodin. En effet, elles étaient à cette époque des figures centrales dans la vie religieuse du pays. Ceci évoque tout d’abord le rôle joué par les prêtresses chamanes, les miko, dans le shintoïsme et s’appuie sur une croyance en la puissance spirituelle et magique des femmes, qui seraient capables de communiquer avec les divinités pour voir leurs prières exaucées ou d’apaiser les mauvais esprits, une idée qui imprègne les mythes et les traditions indigènes japonaises.
Le grand bouddha du temple Tôdai-ji, Nara (photo personnelle)
Trois religieuses dans la tourmente
Malheureusement, les évènements de 569 se reproduisent et une implacable épidémie commence à ravager le pays. Les trois nonnes deviennent ainsi des victimes collatérales de cette catastrophe ainsi que des rivalités entre Mononobe et Soga. En effet, c’est la religion étrangère qu’est le bouddhisme qui est jugée responsable de la situation. Mononobe no Moriya se rend à la demeure d’Umako, fait brûler la pagode et détruire la statue bouddhique qui est jetée dans un canal. Zenshin-ni et ses deux compagnes sont faites prisonnières. Suprêmes outrage, elles se voient dépouillés de leurs robes sacerdotales et sont jetées dans une geôle dont elles ne sortent que pour être publiquement fouettées sur un marché. Néanmoins, les trois jeunes filles ne flanchent pas sous les traitements cruels auxquels elles sont sujettes et demeurent déterminées dans leur volonté de suivre les enseignements du Bouddha.
La situation finit par s’apaiser car le souverain tombe lui aussi malade. Puisque la destruction du lieu de culte n’a pas empêché la maladie de s’en prendre à lui, il finit par autoriser Umako à vénérer le Bouddha dans sa maison, d’autant que celui-ci est toujours souffrant. Les trois nonnes captives sont alors libérées et peuvent reprendre leurs activités. Entre temps, l’ôkimi Yômei (règne de 585-587) montre son intérêt pour le bouddhisme, cependant il décède deux ans après son intronisation. Le conflit entre les Soga et les Mononobe resurgit de plus belle, et résulte en l’anéantissement de ces derniers. Shunshun (r. 587-592) monte sur le trône mais proclame la supériorité du shintoïsme, il aurait ainsi été assassiné sur ordre des Soga. C’est suite à cela 593 que Suiko est choisie pour régner afin de ramener l’harmonie et devient ainsi la première femme ôkimi.
Le voyage en Corée
Zenshin-ni se montre résiliente et n’a perdu en rien son attachement à sa foi et son désir de la propager, ni sa volonté d’apprendre. Elle fait part à Umako d’une décision qui révèle sa détermination : elle souhaite se rendre à Paekce pour y étudier et devenir une nonne à part entière, ce qui va également lui permettre de former d’autres religieux. C’est en 588 qu’elle et ses compagnes embarquent sur le navire d’un ambassadeur qui rentre chez lui. Zenshin-ni a lors seize ans, ou vingt et un selon les sources. Zenshin-ni, Zenzô-ni et Ezen-ni marquent alors de nouveau l’histoire de leur pays, car elles sont les premières ressortissantes japonaises à se rendre en Paekce pour y recevoir des enseignements.
Elles partent du port de Naniwa (actuelle Osaka) et s’embarquent pour un long voyage. Il leur faut deux mois en bateau pour atteindre la péninsule coréenne et ensuite remonter le fleuve Kum sur plusieurs dizaines de kilomètres. Leur arrivée à laissé des traces dans la mémoire de leur pays d’accueil : une fresque d’un temple représente la venue en bateau des trois nonnes.
Carte des trois royaumes de Corée au Ve siècle (source : *)
Admises dans un temple, les trois religieuses peuvent alors commencer à recevoir des enseignements poussés. Elles étudient les préceptes de leur foi et sont officiellement ordonnées. C’est finalement en 590, au terme d’un voyage riche en apprentissages, qu’elles rentrent finalement chez elles.
Enraciner la foi
Zenshin-ni a passé le reste de sa vie à contribuer à la diffusion du bouddhisme dans son pays et s’impose comme une autorité spirituelle. Elles fonde tout d’abord le Sakurai-ji (ou Toyura-dera), le plus ancien monastère féminin (amadera) du pays et s’y installe avec ses compagnes. Les trois nonnes se montrent également très actives : elles ordonnent onze autres religieuses l’année de leur retour. Zenshin-ni a également formé et ordonné son propre frère qui devient ainsi tout premier moine bouddhiste japonais, Tokusai-hôshi. Le fait de la doter de religieux mais aussi de lieux de culte contribue fortement à ancrer cette religion dans les mentalités et le paysage local.
De plus, en 593, Suiko monte sur le trône. Celle-ci se montre également très favorable à cette foi venue de l’étranger, dont elle est elle-même une fervente adepte, et fait construire des temples. En 606, lors de l’inauguration de la statue du temple Asuka-dera (Hôkô-ji), la souveraine aurait d’ailleurs loué l’action de Zenshin-ni, qui a propagé les enseignements du Bouddha et incité de nombreuses personnes à embrasser cette foi.
L’année du décès de Zenshin-ni est inconnue, néanmoins il est possible de mesurer son influence grâce à l’engouement qu’elle a généré.
Les héritières de Zenshin-ni
Les chiffres sont éloquents et révèlent l’impact du parcours de Zenshin-ni. En 623, l’on comptait 569 nonnes et 816 moines. En 674, l’empereur Temmu organise un rassemblement de 2400 nonnes. Le prince Shôtoku, neveu de Suiko aurait fait construire sept temples dont cinq réservés aux femmes, dont l’un, le plus fameux, Chugu-ji, existe encore aujourd’hui et possède d’ailleurs une superbe statue bouddhique en bois considérée comme un trésor national. D’autres femmes prennent également le relais de cette aventure, telle que l’impératrice consort Kômyô (701-760) qui soutient en 740 la fondation de plusieurs temples dirigés par des nonnes. Chacun compte au début dix nonnes, chiffre qui passe à vingt en 766. Ces établissements reçoivent des donations financières de la part du gouvernement. Kômyô devient d’ailleurs également religieuse en 749.
Le temple Chûgû-ji (source : *)
Statue du boddhisattva Miroku conservée au Chûgû-ji
(source : *)
A part son voyage en Corée, peu d’éléments de la vie de Zenshin-ni sont connus. Pourtant, cette fille d’immigré chinois a joué un rôle considérable dans l’histoire religieuse de son pays, sa détermination devant l’épreuve et sa volonté d’étudier ont été essentielles et ont lancé un processus qui a permis que le bouddhisme soit pleinement accepté au Japon et aussi de générer toute l’effervescence, construction de temples et de superbes œuvres d’art, qui a suivi. Zenshin-ni est donc une pionnière, quelqu’un qui par ses convictions a montré le chemin et su engendrer l’envie de la suivre.
J’espère que cet article vous aura plu, je reprends les votes pour choisir le prochain, le sondage précédent ayant conduit à une égalité. Vous pouvez voter ici dans les commentaires ou sur la page Facebook du blog.
Qui fera l’objet du prochain article ?
-Kasuga no Tsubone (1579-1643): Nourrice et éminence grise du shôgun Tokugawa Iemitsu. Femme cruelle à l’intelligence politique redoutable.
-Jitô Tennô (645-703) : Puissante impératrice régnante, comparée à une divinité. Femme d’état habile, elle est à l’origine de nombreuses réformes.
A très bientôt !
Articles liés
Sources Web
« Histoire de Zenshin-ni », Asuka Japan Heritage, repéré à : http://asuka-japan-heritage.jp/global/fr/zenshinni/life/.
Reidy Jane, Heymann Juliette (trad.), « Les femmes dans l’histoire du Zen », Buddhaline, repéré à : http://www.buddhaline.net/Les-femmes-dans-l-histoire-du-zen.
Bibliographie
Beard Mary R.,The force of women in Japanese history, Washington, D.C, Public affairs press, 1953.
Reynolds David K., Plunging through the clouds : constructing living currents, Albany, SUNY press, 1993.
Robinson Paula Kane, Women living zen : Japanese soto buddhist nuns, Oxford, Oxford university press, 1999.
Souyri Pierre-François, Nouvelle histoire du Japon, Paris, Perrin, coll. « Pour l’histoire », 2010.
Magnifique article ! :D Je me souviens d'avoir été surpris d'apprendre qu'une femme soit devenue la première moine de l'histoire du Japon mais comme tu l'expliques si bien, les femmes avaient une place de première importance dans les cultes religieux ^^
RépondreSupprimerPour le prochain article, je vote pour Jitô Tennô :)
Bravo
RépondreSupprimerTres captivant
Nous sommes toujours dans l emotion
D'apprendre ces verites