Dans une cour regorgeant de femmes de lettres, Izumi
Shikibu (née à la fin du Xe siècle) s’impose par sa sensibilité
poétique peu commune. Son art la propulse au firmament des poètes. Pourtant,
Izumi Shikibu possède une aura quelque peu scandaleuse à l’origine de
nombreuses légendes la concernant. Etait-elle une femme trop libre dans un
milieu pourtant déjà peu regardant à ce sujet ? Je vous propose d’aborder ce
mois de décembre en poésie et d’apprécier avec moi l’œuvre d’Izumi Shikibu.
Izumi Shikibu, (1765), Komatsuken (1710-1792)
Des
origines mystérieuses
Izumi Shikibu est une contemporaine de Sei Shônagon
et comme elle une femme issue de l’aristocratie. Toutes deux ont ainsi évolué
dans le même univers : celui de la cour impériale, où la capacité d’un
individu à écrire des poèmes influence sa réussite sociale, notamment par ce
qu’il s’agit d’un moyen de communication très prisé. Hommes et femmes se
livrent par exemple à des échanges poétiques amoureux. En outre, comme je
l’avais déjà souligné dans mon précédent article sur cette période, les femmes
s’emparent de la langue japonaise comme moyen d’expression, puisque le chinois
est la langue masculine de l’administration, et, à défaut d’exercer une
influence politique véritable, marquent le monde qui les entoure par leur
production littéraire.
Qui veut étudier la biographie d’Izumi Shikibu se retrouve
face au même écueil qu’avec ses contemporaines, Sei Shônagon mais aussi
Murasaki Shikibu, l’autrice du Dit du
Genji : à savoir le manque d’informations et la difficulté à trier les
légendes des faits. L’on ignore notamment sa date de naissance (les
suppositions vont de 972 à 981). Elle est née dans une famille de la moyenne
noblesse, ses deux parents ayant une lointaine ascendance impériale. A l’instar
de ses consœurs, Izumi Shikibu n’est pas son véritable nom. Il s’agit d’un
sobriquet, « yobina », que
l’on attribuait aux dames de cour. Il peut en être déduit de manière presque
certaine que la première partie fait allusion au fait que son premier époux, Tachibana
no Michisada, ait été gouverneur de la province d’Izumi, tandis que son père avait autrefois occupé le poste de
Directeur adjoint au Département des Rites soit « shikibu-shô ».
Ma mère me
réprimandait jadis
J’ai beau
passer mon temps
en rêveries
Personne
n’est là
pour me le
reprocher
Mariage et
séparation
Sa mère étant une dame d’honneur au service de
l’impératrice douairière, une légende prétend que la jeune Izumi Shikibu aurait grandi au palais et ainsi
rencontré deux de ses futurs amants encore enfants. Cependant, cette histoire
n’a guère de fondement. C’est donc en 999 qu’Izumi Shikibu épouse Tachibana no
Michisada, une union probablement arrangée par son père, qui l’emmène avec lui
alors qu’il part prendre son poste en province. Izumi Shikibu donne très peu de
temps après naissance à une fille, qui reçoit par la suite le surnom de
Koshikibu.
Izumi Shikibu est déjà connue pour ses talents de
poétesse et compose à ce moment l’une de ses plus célèbres pièces :
Venue par un
chemin ténébreux
Je m’enfonce
dans de plus ténébreux encore
Lune qui
resplendit
A la pointe
des monts
Daigne
m’éclairer de loin
Celle-ci est adressée à l’abbé Shôkû, apparenté à son
époux. La lune symbolise le désir de la poétesse d’atteindre l’illumination. Peut-être
demande-t-elle au religieux de l’éclairer face à ses doutes.
Izumi Shikibu, Kikuchi Yôsai (1788-1878)
Comme le souligne René Sieffert, il ne faut pas
donner au mariage de ce Japon ancien la même signification que celle qu’il a
dans nos sociétés occidentales. En effet, les unions sont considérées comme
relevant entièrement de la sphère privée et uniquement de la volonté des
concernés et de celle de leur famille en fonction des intérêts en jeu. Elles
sont ainsi très aisées à rompre, d’autant qu’il était admis qu’un homme puisse
avoir plusieurs liaisons et épouses secondaires. Si Izumi Shikibu semble avoir
développé une certaine affection envers son mari, c’est également elle qui
apparaît avoir pris l’initiative de leur rupture. En effet, Izumi Shikibu
entame une liaison avec le prince impérial Tametaka après que son mari ne l’ait
délaissée. Néanmoins, ses relations avec son ancien époux semblent rester
cordiales même après cette séparation puisqu’Izumi Shikibu continue notamment
de correspondre et d’échanger des poèmes avec lui.
Izumi Shikibu et
les deux princes
Les liaisons d’Izumi Shikibu avec deux princes
impériaux vont défrayer la chronique dans cette cour où chacun s’épie et contribuent à donner à la dame une réputation
de libertine. Très peu de choses sont connues sur son histoire avec le prince Tametaka,
un homme surtout connu pour sa beauté et sa réputation de séducteur. Cette
liaison fait scandale à cause de la disparité de rang entre les deux amants.
Tametaka meurt en 1001 suite à une maladie, qu’il aurait contractée en
traversant la capitale pour se rendre chez Izumi Shikibu, ce qui pose l’une des
premières pierres de la légende de
« femme fatale » de celle-ci.
« femme fatale » de celle-ci.
C’est à l’été 1003 qu’Izumi Shikibu se lie avec
Atsumichi, le cadet de Tametaka. Lui aussi connu pour ses aventures amoureuses,
il est en réalité passé à la postérité du fait de sa relation avec Izumi
Shikibu. Atsumichi vient tout d’abord apporter un message de condoléances à
l’amante de son frère et peu à peu leur relation évolue en un lien plus
profond. Cet épisode est d’ailleurs raconté dans le Journal écrit par Izumi Shikibu. Ce texte détaille les échanges
poétiques entre les deux amants, huit mois de dissimulation, pour qu’enfin le prince ne se décide le 15
janvier 1004 à faire venir Izumi Shikibu chez lui pour la « prendre à son service ». Décision
qui n’est pas sans conséquences puisque l’épouse du prince en est outrée et
décide de quitter sa maison. Le problème est que de telles démonstrations de
jalousie ne sont pas de bon ton chez une femme de sa condition et elle est donc
obligée de se réfugier chez sa grand-mère maternelle. En outre, le fait
qu’Izumi Shikibu passe ainsi d’un frère à l’autre choque encore ses contemporains.
Suite à cet épisode, les parents d’Izumi Shikibu se détournent d’elle et
refusent de la voir.
Autre source de scandale : la façon dont les
amants s’affichent ostensiblement. Si la court apprécie déjà les poèmes d’Izumi
Shikibu, la réputation de cette dernière n’en devient que plus sulfureuse. En
effet, Izumi Shikibu n’est pas le genre de personne à vouloir passer inaperçue.
Voici un extrait du Grand miroir (Ôkagami) un ouvrage du début du XIIe
siècle :
« La façon
dont le prince Gouverneur Général s’en alla voir le cortège de la prêtresse de
Kamo au retour de la fête, en compagnie de la dame Izumi-shikibu, était fort
curieuse. Le store qui fermait le devant du char était, en effet, fendu par le
milieu, la moitié de son côté étant relevée et l’autre moitié, devant la dame
Shikibu, par contre abaissée, mais laissant déborder ses robes, cependant sur
sa jupe carmin était fixé, largement étalé, un papier rouge marqué du signe
« interdit » ; et comme elle était si longue et trainait presque
à terre, tous les yeux paraît-il étaient tournés de ce côté plutôt que vers le
cortège. » (trad. : Sieffert)
Izumi Shikibu, (1886), Yôshû Chikanobu (1838-1912)
De la même manière, elle s’affiche comme la maîtresse
officielle du prince et l’accompagne par exemple chez le lettré Fujiwara no
Kintô pour observer les cerisiers en fleurs. La liaison s’achève néanmoins à la
mort du prince en 1007. Izumi Shikibu lui dédiera des poèmes où elle exprime
son chagrin sur un mode particulièrement lyrique, une chose rare dans une
poésie de cour qui utilise souvent des lieu communs. La poétesse évoque par
exemple le fait que l’idée d’entrer en religion l’ait traversée, à la manière
d’une veuve ayant perdu son époux. Comme il était très rare d’exprimer une
telle passion de cette manière, certains de ses détracteurs lui reprocheront de
se montrer excessive.
Puisque
terme il y a
Quittons cet
habit couleur de glycine
Désormais je
le porterai
Après
l’avoir teint
Aux couleurs
des larmes de sang
Triste,
Je regarde
devant moi
Et compare
celui qui est parti
En fumée
Aux cendres
de ce brasero
Au service
de l’impératrice
Izumi Shikibu observe le deuil pendant une année
entière. Puis, au printemps 1009, elle entre au service de l’impératrice Sôshi.
Celle-ci est déjà entourée de femmes fort lettrées telles que Murasaki Shikibu
ou encore Akazome Emon. Si dans ses poèmes la dame expose ses histoires
d’amours d’une manière bien plus directe que ce qu’autorise vraiment la décence,
elle jouit néanmoins d’une solide réputation pour ses vers. C’est pour cela que
le régent de l’époque, Fujiwara no Michinaga, décide de la faire rentrer au
service de sa fille, autour de laquelle il veut rassembler les femmes les plus
brillantes d’esprit et habiles dans les lettres. Ainsi, cet homme est conscient
du talent et de l'habileté de la dame, même s’il avait auparavant traité Izumi
Shikibu de femme volage, le Recueil
d’Izumi Shikibu mentionne en effet l’épisode suivant:
« Le Grand
Ministre (Michinaga) ayant vu un de ses proches tenant un éventail qui
m’appartenait lui demanda « de qui est-il ? » et comme on lui
répondait « d’une telle » il s’amusa à écrire dessus « éventail
d’une femme volage ». Moi, par la suite, j’inscrivis à côté :
Peut-être
l’avons nous franchi
Peut-être ne
l’avons nous pas franchi
Cette
barrière d’Ôsaka
Vous qui
n’en êtes point le gardien,
Ne me faîtes
point de reproches »
Quant aux relations avec les éminentes femmes de
lettres qui sont ses contemporaines Izumi Shikibu a par exemple échangé des
poèmes avec Sei Shônagon. Ici elle taquine Sei, qui a gagné les faveurs d’un
haut personnage, en lui envoyant un bulbe d’acore. L’acore était utilisée pour
protéger les maisons des mauvais esprits et à la cour des compétitions étaient
organisées pour savoir qui en ramasserait le plus de bulbes.
Izumi Shikibu :
Acore que
voilà
Un homme
l’aurait déterré
Quoi de plus
naturel
Qu’il en
fasse l’ornement
De son
alcôve
Réponse de Sei
Shônagon :
Qu’il est
chétif
Et qu’il est
court
Ce bulbe
d’acore
Pourtant il
fut déterré par vous
L’ornement
même des alcôves
Réponse d’Izumi Shikibu :
C’est ainsi
donc
Que vous me
jugez
Me mettant
au rang
Des
personnes qui auraient vu
Forces
bulbes d’acores
Mais ses relations avec la romancière Murasaki
Shikibu sont plus tendues. Les deux femmes doivent toutes les deux leur position
à Fujiwara no Michinaga et ont probablement
le même âge. Murasaki l’évoque ainsi dans son journal :
« Celle
que l’on nomme Izumi-shikibu est dotée d’un réel talent épistolaire. Il est certes vrai qu’Izumi a des côtés
détestables, mais quand elle se laisse aller à écrire une lettre au fil du
pinceau, ceux qui sont experts en la matière y découvrent, semble-t-il, du
brillant dans l’expression la plus banale. Ses poèmes sont fort agréables. Elle
n’a, paraît-il, ni les connaissances ni le métier qui font le poète
authentique, mais, dans ses improvisations,
elle sait toujours introduire quelque trait plaisant qui retienne
l’attention. Fût-on un poète estimable, prétendre critiquer et juger les
compositions d’autrui pourrait bien être la preuve que l’on a trop rien compris
à la poésie. Elle, en tout cas, me semblent appartenir à l’espèce de ceux qui
paraissent s’exprimer spontanément en poèmes. Je ne pense pas toutefois que
j’aie à rougir d’elle. » (trad. : Sieffert)
Il ne s’agit pas tant ici d’une pique acerbe teintée
de jalousie. Murasaki reproche à Izumi Shikibu le côté trop spontané de sa
poésie, ce qu’elle considère comme une faute de goût. Elle critique également
le fait que si le talent épistolaire d’Izumi Shikibu est connu, c’est par ce
que celle-ci ne se prive pas de laisser voir ses lettres, une conduite à
laquelle Murasaki Shikibu refuse de se laisser aller. Cependant, Izumi Shikibu
respecte très bien les règles de la poésie de son époque, notamment pendant les
concours auxquels elle participe. Peut-être Murasaski Shikibu n’a-t-elle eu
accès qu’à des fragments de ses oeuvres. D’autant qu’il existe un certain
nombre de similitudes entre les faits rapportés dans le Journal d’Izumi Shikibu (possiblement écrit en 1008) et l’intrigue
des derniers chapitres du Dit du Genji
(écrits entre 1011 et 1014). La romancière s’est-elle inspirée de sa compagne
de cour ? Toujours est-il que cela ne fait que renforcer la complexité de
la relation entre les deux femmes.
La perte d'un enfant
C’est sans doute grâce à l’influence de Michinaga
qu’Izumi Shikibu rencontre son dernier époux : Fujiwara no Yasumasa, âgé
d’une vingtaines d’années de plus qu’elle. Celui-ci devient gouverneur de deux
provinces différentes en 1013 puis 1023 et il semble qu’Izumi Shikibu l’ait
accompagné dans la prise de ses fonctions. Sa fille, Koshikibu, compose en
effet un poème qui sera retenu dans l’anthologie des Cents poètes et un poème pendant un concours de poésie organisé pendant
un voyage où Izumi Shikibu et son mari se trouvaient dans la province de Tango,
où son mari était en poste. Cette anthologie regroupe les plus grands poètes de
cette époque et que c’est sur elle que se base le jeu de karuta.
Le poème de
Koshikibu :
Déjà la route est si longue
jusqu'au mont Ôé et jusqu'à
Ikuno
que je n'ai pas mis le pied
à Amanohashidaté et n'ai pas
vu de lettre
jusqu'au mont Ôé et jusqu'à
Ikuno
que je n'ai pas mis le pied
à Amanohashidaté et n'ai pas
vu de lettre
Poème d’Izumi Shikibu dans les Cents poètes :
L'autre côté d'un monde qui
n'est pas
emportera le souvenir que je
veux d'un dernier rendez-vous
n'est pas
emportera le souvenir que je
veux d'un dernier rendez-vous
Izumi Shikibu aurait néanmoins continué à avoir de
nombreux amants, même après son remariage. Leur nombre est difficile à établir
car nombre de ses poèmes sont adressés à « un homme » ou à « quelqu’un ».
Rappelons qu’un tel comportement n’aurait pas été critiqué chez un homme. Une
certaine liberté de mœurs était tolérée pour les femmes mais elle était
beaucoup plus restreinte.
Sa fille, Koshikibu, entre elle aussi au service de
l’impératrice et a en 1018 un enfant et meurt en 1025 en mettant au monde un
fils, cette fois d’un autre père. Des textes plus tardifs ont cherché à lui
imaginer d’autres amants, tentant de donner à la fille le même caractère qu’à
mère. Izumi Shikibu est très affectée par le décès de sa fille et ses poèmes
reflètent d’ailleurs son état d’esprit :
(En évoquant ses petits-enfants)
Partie en
nous laissant
De qui
avais-tu donc pitié ?
Certes, tu
pensais bien plus à tes enfants,
Oui, bien
plus à tes enfants
(La nuit du dernier jour de l’an)
J’entends
dire que cette nuit
Reviennent
les disparus
Mais tu n’es
pas là
La demeure
que j’habite
Est un lieu
où les âmes ont du mal à vivre
Koshikibu telle que représentée dans les Cent poètes
Après cela, Izumi Shikibu n’obtient que des mentions
éparses dans les textes, souvent pour indiquer sa participation à des concours
de poésie jusqu’en 1033. Le dernier poème daté de son recueil est adressé à son
époux Yasumasa et aurait été écrit en 1027. Néanmoins, Izumi Shikibu se sépare
de lui avant la mort de ce dernier en 1036. Le temple de Seishin-in à Kyôto
possède une statue d’elle en habit de religieuse et accueille dans son enceinte
une tombe supposée être la sienne. Un autre temple, le Seiganji, prétend aussi
être le lieu où elle aurait vécu ses dernières années. Après tout, son poème
« Venue par un chemin ténébreux…»
ne laissait-il pas entrevoir une personnalité complexe tiraillée entre
l’attrait de la Voie bouddhique et les passions de ce monde ? Aucune de
ces hypothèses n’est malheureusement vérifiable. Plusieurs dates sont proposées
pour sa mort, la plus tardive étant celle de 1061.
(Comme des personnes composaient des poèmes sur leur
désir d’aller au paradis) :
Mes vœux
seraient
Puissé-je
Sortir de ce
monde
De ténèbres,
tout obscur,
Pour
m’incarner en une claire fleur de lotus
L'une des tombes attribuées à Izumi Shikibu (source : *)
Récupérations
et dégradation de l’image de la poétesse
Contrairement à sa rivale Murasaki, Izumi Shikibu
passe à la postérité pour ses aventures amoureuses et sa manière de se défier
des convenances. L’anecdote qui prétend qu’elle aurait fini ses jours en
religieuse est possiblement une création à des fins édificatrices montrant une
femme trop longtemps soumise à des passions tumultueuses se remettre sur le
droit chemin. Après sa mort, les suppositions sont allées bon train quant au
nombre exact de ses amants. Ainsi, la liste ne cesse d’augmenter, souvent sans
preuves, et beaucoup s’en donnent à cœur joie allant même jusqu’à lui inventer
des enfants totalement fictifs.
Un récit va même jusqu’à désigner Izumi Shikibu comme
étant une « fille de joie »,
qui a un enfant avec un homme du palais. Fils qui est abandonné, puis retrouve
sa mère une fois à l’âge adulte sans savoir qu’elle est sa génitrice. Les deux
commettent l’irréparable, Izumi Shikibu découvre ensuite qu’il s’agit de son
fils et entre en religion. Il s’agit évidemment d’une fiction sans aucun
fondement.
Au XXe siècle, Izumi Shikibu trouve
néanmoins une nouvelle alliée en la personne de la poétesse Yosano Akiko
(1878-1942) qui va s’atteler à réhabiliter l’image de cette femme calomniée par
des siècles de commentateurs. Cette féministe promouvait en effet les œuvres
écrites par des femmes, notamment de l’ère Heian, afin de démontrer
qu’autrefois ces dames de cour écrivaient ce qu’il se faisait de mieux en
matière littéraire. Elle défend alors Izumi Shikibu qui représente selon elle
une femme libre et indépendante sentimentalement. L’un de ses recueils de
poésie est intitulé Midaré-gami soit
« cheveux en désordre » en référence à l’un des poèmes d’Izumi
Shikibu :
J’étais là
pâmée
Ignorant le
désordre de mes cheveux noirs
Combien
m’est cher celui qui d’abord les releva
Izumi Shikibu, (1735), Nishikawa Sukenobu (1671-1750)
L’œuvre
d’Izumi Shikibu
Celle dont le traducteur émérite René Sieffert écrit
qu’elle fut « certainement le plus
grand poète de son temps » a laissé une sorte de journal intime, le Izumi Shikibu nikki, conformément à la
mode en vigueur chez les dames de cour de l’époque. Sieffert écrit à ce sujet
que sa qualité d’écriture n’a rien à envier à celle du grand roman de l’époque,
Le dit du Genji. Sa particularité est
de raconter un épisode de la vie de son autrice, à savoir la naissance de son
histoire avec le prince Astumichi, mais à la troisième personne, lui donnant
une tonalité très romanesque. En effet, elle désigne les personnages sous les
noms de « la femme » et
« le prince ». René
Sieffert évoque la possibilité que ce journal ait été écrit d’un trait à l’été
1008, soit peu de temps après le décès du prince.
Couverture d'un manga (1999) adapté du
Journal d'Izumi Shikibu par Igarashi Yumiko
Certains chercheurs ont néanmoins formulé l’hypothèse
que cette œuvre ait pu être celle d’un tiers, notamment par son style
d’écriture très travaillé l’apparentant plus au genre romanesque des monogatari. Néanmoins, les spécialistes
les plus éminents concordent aujourd’hui sur le fait que cet ouvrage soit bien
authentique et le fait de notre poétesse. En voici un extrait :
« Du feuillage des
arbres naguère coloré, rien ne subsistait, le ciel était clair et dégagé ;
regardant le soleil qui se couchait, le cœur serré, selon usage, elle lui
écrivit :
J’ai beau mon seigneur
me dire que vous êtes là
pour me consoler
lorsque vient le crépuscule
je me sens mélancolique.
me dire que vous êtes là
pour me consoler
lorsque vient le crépuscule
je me sens mélancolique.
(Prince)
Tout un chacun certes
Lorsque vient le crépuscule
Le ressent ainsi
Et plus que tout autre vous
Qui le dites la première.
Tout un chacun certes
Lorsque vient le crépuscule
Le ressent ainsi
Et plus que tout autre vous
Qui le dites la première.
Cette pensée me point le cœur. Ah !
que je voudrais accourir sur l’heure. » Le lendemain, aux premières lueurs
de l’aube, alors que tout était blanc de givre, il lui écrivait :
« En cet instant, comment vous sentez-vous ? »
Ce matin de givre
À l’aube d’une longue nuit
Passée dans l’attente
En effet plus que toute chose
Au monde est mélancolique.
À l’aube d’une longue nuit
Passée dans l’attente
En effet plus que toute chose
Au monde est mélancolique.
Tels étaient les propos qu’ils
échangeaient. Ce qu’écrivait le prince, comme de coutume, était empreint
d’émotion.
(Prince)
Seul de mon côté
Penser et penser à vous
Ne nous mène à rien
Ah puissiez-vous madame
Le ressentir comme moi.
Seul de mon côté
Penser et penser à vous
Ne nous mène à rien
Ah puissiez-vous madame
Le ressentir comme moi.
(Izumi Shikibu)
Que vous et moi soyons
Vous là-bas et moi ici
Après tout n’importe
Si votre cœur et mon cœur
Jamais ne sont séparés. » (trad. Sieffert)
Que vous et moi soyons
Vous là-bas et moi ici
Après tout n’importe
Si votre cœur et mon cœur
Jamais ne sont séparés. » (trad. Sieffert)
Ce journal comporte 147 poèmes échangés entre les
deux amants, soit le nombre le plus important de toute la prose japonaise de
l’époque. Deux recueils rassemblent les poèmes d’Izumi Shikibu et leur nombre
total s’élève à 1477, ce qui en fait un véritable monument de la littérature
japonaise.
Quoi qu’il en soit je vous propose de la quitter sur
cette citation du Mumyô sôshi, un
ouvrage de critique littéraire daté de 1202 et attribué à une femme anonyme,
sœur ou nièce d’un illustre poète :
« Izumi-shikibu
composa des poèmes en si grand nombre qu’en vérité l’on n'ose croire qu’une femme
ait pu en produire tant et tant, de si grande valeur, à moins que ce ne fut
l’effet d’un mérite acquis en quelque vie antérieure. Car on a peine à imaginer
que ce soit l’œuvre d’une seule vie. » (trad. : Sieffert)
Même si mon
amour pour toi
Venait à se
briser en mille morceaux
Il est tel
que nul morceau ne serait perdu
Attendez, ne partez pas ! Pour le prochain
article c’est vous qui décidez ! Votez ici pour choisir la femme qui sera
mise sur le devant de la scène. Cliquez ici Si vous n’avez pas de compte Google n’hésitez pas à
voter par commentaires.
Article associé :
Sources :
(Compte-tenu des documents qui me sont accessibles au
moment de la rédaction de cet article, la traduction des poèmes d’Izumi Shikibu
provient du livre suivant : )
Izumi Shikibu, YOSANO Fumi (trad.), Poèmes de cour (édition bilingue français-japonais), Paris, La différence, coll.
« Orphée », 1997.
« Hyakunin
isshû », Revue du tanka francophone, (http://www.revue-tanka-francophone.com/hyakunin-isshu.html), dernière consultation le 28 novembre 2017.
Extraits du Journal
accédés sur La cave à poèmes, (http://www.cave-a-poemes.org/page.php?id=1138), dernière consultation le 28 novembre 2017.
Bibliographie
MULHERN Chieko I., Japanese women writers : a bio-critical sourcebook, Westport,
Greenwood press, 1994.
Izumi Shikibu, SIEFFERT René (trad.),
« Introduction », Izumi-shikibu : journal et poèmes, Paris, POF, 1997,
p.7-35.
Encore un très bel article ! J'ai un peu lu sur Izumi Shikibu mais j'avoue ne pas avoir su les détails sur sa vie. De plus je ne savais pas qu'elle a écris tant de poèmes, c'est vraiment impressionnant ^^
RépondreSupprimerSuper ! Et j'admire ton rythme de parution des articles O.o
RépondreSupprimerSinon, même si on finit par s'y attendre, il est tellement dommage de voir à quel point les femmes influentes finissent pratiquement toujours par subir des attaques ad hominem sur leur sexualité quel que soit le pays ou l'époque.
Heureusement que ces dernières années on a enfin des processus de réhabilitation (comme l'ensemble de ce site) pour remettre leurs oeuvres/travaux au centre de l’intérêt que l'on devrait avoir pour elles en ne parler de leurs ébats non comme des ragots ou pour satisfaire un certain voyeurisme mais de façon à mieux comprendre leur héritage.
Excellent boulot et bonne continuation :D
Merci beaucoup pour ton commentaire, je suis très contente que ce nouvel article t'ai plu ;), et surtout pour tes propos très pertinents sur la réputation des femmes et les attaques sur leur sexualité. Et force est de constater que c'est une attitude qui n'a pas toujours disparu aujourd'hui, ce qui rend d'une certaine manière l'histoire d'Izumi Shikibu très moderne. Je ne sais pas si tu as voté pour le sondage mais n'hésite pas ;) à très bientôt en tout cas !
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