Cet article est d’une longueur et d’une qualité
inférieure à ceux que j’ai jusque-là pu écrire. Ceci est tout d’abord dû à un
problème de temps, d’autant que ce mois-ci je participe au National Novel
Writing Month (NaNoWriMo) où l’objectif est d’écrire 50 000 mots en un mois, ce
que je fais avec un récit de fiction. Toujours est-il que, ne désirant pas
délaisser mon blog, j’ai cherché des idées pour un court article et ai décidé
d’inclure plusieurs histoires de femmes guerrières que j’avais souhaité mentionner
dans mon mémoire mais sans pouvoir le faire par manque de place.
J’en profite d’ailleurs pour saluer les élèves de
l’hypokhâgne du lycée militaire d’Aix-en-Provence, si certains passent par ici,
et pour les remercier pour leur accueil lors de la présentation que j’ai
réalisée devant eux.
Ainsi, dans cet article vous découvrirez les hauts
faits de cinq femmes valeureuses, dont le point commun est d’avoir vécu à la
fin du XVIe siècle, une période qui voit de puissants seigneurs
lutter pour le contrôle d’un Japon fragmenté et où les femmes luttent hardiment
pour défendre leurs terres et font aussi partie des armées. Pour plus
d’informations sur le contexte, je vous incite à lire le premier paragraphe de
l’article sur Yodo-dono. En effet, ces femmes
guerrières ne sont pas des cas isolés mais s’inscrivent bel et bien dans une
longue tradition martiale féminine. Sur ce, je vous souhaite une bonne
lecture !
Deux
épouses vaillantes
Si le nom de ces deux femmes n’est pas mentionné dans
les sources que j’ai utilisées, il n’empêche que leur bravoure a été
exemplaire. Pendant cette époque troublée, il arrivait souvent que des épouses
de seigneurs se trouvent en charge de défendre des villes et des châteaux,
notamment lorsque les hommes en étaient absents. Défendre un château, c’est
aussi protéger les terres qui en dépendent et les gens qui vivent sous la
protection du seigneur, l’enjeu est ainsi crucial.
L’une d’entre elles est l’épouse d’un seigneur nommé
Okami Nakatsukasa et son fait d’armes prend place pendant la seconde moitié du
XVIe siècle. Leur château, celui d’Ashitaka dans la préfecture
d’Hitachi, se retrouve assiégé par l’ennemi. Les assaillants décident aussitôt
de prendre pour cible les quartiers où vivent le seigneur et son épouse, les
considérant comme les plus vulnérables, avec l’objectif de les incendier. La
femme se retrouve seule à devoir agir, car son mari affronte déjà l’ennemi en
un autre lieu et ne peux intervenir. Aussitôt, elle décide de rassembler ses
servantes ainsi que des enfants et fait détruire certaines parties du bâtiment
avant de mettre le feu aux débris. Puis, montés au sommet des remparts et
placés sur les rives des douves, elle et ses alliés de fortune bombardent sans
relâche l’ennemi avec ces projectiles improvisés, le forçant à se retirer.
Ainsi, son intelligence et son esprit d’initiative lui ont-ils permis de
défaire les meilleurs soldats de l’adversaire.
Lors du siège du château de Sunemori en 1584 par une
force composée de 15 000 hommes, la femme d’Okumura Nagatomi, le maître des
lieux, assume un rôle de commandement et s’impose comme un exemple de
détermination martiale. Elle est ainsi une illustration des responsabilités qui
incombaient aux femmes des seigneurs dans de telles situations. Une chronique
de l’époque la décrit comme une personne plutôt discrète et élégante, allant
jusqu’à la comparer à un saule. Pour autant, face à cette situation critique,
elle met toute délicatesse de côté. En effet, la dame s’arme d’une naginata (sorte de hallebarde, arme traditionnellement
utilisée par les guerrières japonaises de la classe samouraï) et, accompagnée
d’une petite escorte, patrouille nuit et jour dans le château, y compris sur
les murailles. Elle inspecte sévèrement le comportement de ses soldats,
n’hésitant pas à réprimander ceux qui s’endorment alors qu’ils sont de garde.
De la même manière, elle se montre juste, inspire et félicite ceux qui font
preuve de bravoure et fait noter leurs noms. En outre, elle encourage les
soldats à tenir, leur promettant l’arrivée des renforts. En effet, ceux-ci sont
sauvés par l’arrivée de leur allié Maeda Toshiie qui, venant à leur rescousse,
brise le siège.
Samouraï faisant son rapport à une femme
guerrière (1893),
Yôshû Chikanobu (1838-1912)
Koman,
servante héroïque
Cette histoire prend place entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe. Koman est au service de la femme d’un daimyô (seigneur féodal) de la province de Settsu. Son employeuse manie très bien les armes, comme il est attendu d’une femme de la classe samouraï, et est également une poétesse. Or, le mari de cette femme s’attire par ses paroles la colère de Toyotomi Hideyori, le fils de Yodo-dono et est ainsi convoqué au château d’Osaka pour comparaitre devant lui. Or, l’homme s’enfuit par crainte de la punition et laisse son épouse et ses enfants au château. Koman apprend que le seigneur se cacherait au temple de Kiyomizu, à Kyôto. Elle décide aussitôt d’un plan pour permettre à sa maîtresse de s’échapper et de le rejoindre.
Traversant la rivière Yodo à la nage, elle atteint
l’autre rive et y cache des sacs contenant des vêtements. Elle réussi ensuite à
y emmener sa maîtresse et ses deux jeunes enfants. Koman porte le fils et la
dame la fille. Là, les fugitifs se déguisent en pèlerins et se dirigent vers la
capitale. Cependant, ils sont en cour de route abordés par un homme qui leur
demande où ils se rendent. Les femmes répondent qu’elles vont à Kyôto, au
temple de Kiyomizu.
Le temple de Kiyomizu (photo
personnelle)
Alors qu’elles sont pourtant rentrées dans Kyôto,
elles voient leur chemin bloqué par ce même homme, accompagné d’une troupe de
bandits. Ceux-ci ont compris qu’il y avait quelque chose à tirer de ces
voyageuses, seules avec des enfants, et probablement issues d’une famille
aristocratique. Les femmes dégainent leurs dagues, armes que toute femme de la
classe guerrière se devait d’avoir sur elle pour sa propre protection, mais les
assaillants parviennent à s’emparer du fils. La mère se jette aussitôt sur le
responsable mais tue également son enfant dans l’attaque. De son côté, Koman
tue six hommes tandis que la dame en abat quatre autres. Cependant, la mère a
été grièvement blessée pendant le combat, tandis que Koman en serait sortie
indemne, et meurt avant d’arriver au temple. Koman accomplit alors les rites
funéraires puis poursuit sa mission, conduisant la fille à son père.
Estampe de Yôshû Chikanobu (1838-1912) datant de 1886
Les
héroïnes de Sekigahara
Nous arrivons cette fois à la fin d’une ère, lors de
la campagne de Sekigahara en 1600. Celle-ci oppose le troisième unificateur du
Japon, Tokugawa Ieyasu (1542-1616), à des alliés de l’autre clan influent de
l’époque, les Toyotomi. En résulte une victoire des Tokugawa et l’accession
d’Ieyasu au poste de shôgun en 1603,
ce qui fait de lui le maître du pays, installant son nouveau gouvernement à
Edo. Beaucoup de femmes ont joué un rôle clef dans cette très longue campagne
et dans la défense de postes stratégiques.
Parmi elles, l’habile et déterminée Sanada
Komatsuhime (1573-1620) dans sa défense du château de Numata et dont j’ai
développé l’exemple dans mon mémoire. Elle est la fille adoptive de Tokugawa
Ieyasu et l’épouse de Sanada Nobuyuki, allié des Tokugawa. Or, le beau-frère et
le beau-père de Komatsuhime l’assiègent au château de Numata. Son
beau-père lui demande de le laisser entrer dans le château sous prétexte de
pouvoir rendre visite à ses petits-enfants, Komatsuhime rétorque que si les
Sanada tentent de prendre ce château par la force elle le fera incendier et se
suicidera. La menace fonctionne et les deux assiégeants se retirent au château
d’Ueda, où ils sont par la suite acculés par l’armée des Tokugawa. Komatsuhime
arrange alors un stratagème avec son mari : puisqu’il s’agit d’une
bataille opposant deux branches d’un même clan, il se peut que leurs hommes
aient des proches dans le château assiégé et cela risque de mettre à mal leur
détermination. La dame et son mari négocient afin que les civils puissent
quitter Ueda, sous prétexte de vouloir épargner leurs vies, et leur offrent
d’entrer dans le château de Numata où elle les prend en réalité en otage.
Portrait de Sanada Komatsuhime
La femme de Sanada Nobuyuki (1886), Yôshû Chikanobu (1838-1912)
Mais il faut également compter avec Yuki no Kata qui
défend le château d’Anotsu pour le compte de son mari Tomita Nobutaka alors
qu’elle est assiégée par des ennemis des Tokugawa. Yuki no Kata parvient non
seulement à tenir le siège mais sa défense est un succès puisqu’elle repousse
l’ennemi.
Tomita
Nobutaka et sa femme (1885), Tsukioka Yoshitoshi (1839-1892)
Enfin, il faut compter également avec un exemple
singulier mais tout aussi intéressant, celui de Tachibana Ginchiyo, la nonne
guerrière de Yanagawa. Cette fois le combat prend part au Sud du Japon, sur
l’île de Kyûshû. Tachibana Muneshige, le daimyô
(seigneur féodal) de Yanagawa est un allié d’Ishida Mistunari, le meneur du
clan pro-Toyotomi. Voyant la situation lui devenir défavorable, il se retire
sur ses terres et Tokugawa Ieyasu envoie ses troupes pour le traquer. Celles-ci prennent peu à peu le contrôle de
Kyûshû et c’est finalement le château de Yanagawa lui-même qui devient la cible
de l’attaque. C’est sans compter l’intervention de l’ex-femme de Tachibana
Muneshige, Ginchiyo. Celle-ci est une forte personnalité : en effet elle
avait précédemment occupé la tête du clan Tachibana pendant six ans avant son
mariage.
Portrait de Tachibana Ginchiyo
Depuis sa séparation avec son époux, Ginchiyo est
devenue une nonne bouddhiste et réside dans un couvent au sud du château de
Yamagawa. Elle décide de voler au secours de son ancien mari, revêt une armure,
et entraîne ses consoeurs religieuses dans une résistance armée afin de freiner
la progression de l’ennemi. S’il existe très peu de traces décrivant exactement les mesures défensives prises par Ginchiyo, ils n’empêche
que celles-ci ont été suffisamment convaincantes. Il est intéressant de constater
que les deux commandants en charge de l’assaut avaient au cour de leur carrière
déjà été confrontés à des femmes guerrières. L’un d’entre eux est en effet
Nabeshima Katsushige, désormais rallié aux Tokugawa, qui a par exemple affronté
Yuki no Kata lors du siège d’Anotsu. Toujours est-il que ce facteur les a sans
doute encouragés à la prendre aux sérieux.
Face à la résistance inattendue de Ginchiyo, l’ennemi
propose à l’ex-mari de cette dernière de négocier une trêve avec eux, d’autant
que Muneshige avait combattu aux côtés de ses assaillants lors de la tentative
d’invasion de la Corée lancée par Toyotomi Hideyoshi (1537-1598), le précédent
unificateur du Japon. Il lui proposent donc de se rendre et de s’allier avec
eux pour combattre un autre fugitif, ce que Muneshige accepte.
J’espère que vous avez malgré tout apprécié ce petit
article sans prétention. Pour le prochain, nous retournons à l’ère Heian pour
rencontrer une poétesse contemporaine de Sei Shônagon, connue pour sa
sensibilité…et une réputation scandaleuse.
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Bibliographie
Sur
l’histoire japonaise
BEARD,
Mary R., The force of women in Japanese
history, Washington, D.C, Public affairs press, 1953.
TURNBULL Stephen, Samurai women 1184-1877, Oxford, Osprey Publishing, 2010.
Source additionnelle : Interview du
créateur d’un jeu vidéo japonais sur la période
SAINSBURY Matt, Game art : art from 40 video games and interviews with their
creators, San Francisco, No Starch press, 2015.