Elle est considérée comme la première impératrice
régnante du Japon. Suiko Tennô (554-628) s’est montrée une habile souveraine,
naviguant entre les intrigues. Décrite dans le Nihonshoki comme étant belle et progressiste, son règne a en effet
été riche en réformes et réalisations.
Représentation de l’impératrice Suiko
Souveraine
céleste
L’empereur est au Japon désigné sous le nom de tennô, ce qui signifie « souverain
céleste ». Or, ce terme n’est pas sexué et peut très bien s’appliquer à
une femme. Huit l’ont d’ailleurs porté tout au long de l’histoire japonaise et
parmi elles deux sont remontées sur le trône après une abdication, ce qui fait
dix règnes féminins au total. Toutes ces souveraines auront par la suite leur
propre article ou seront, à défaut, mentionnées sur ce blog.
Suiko est considérée comme la première d’entre elles
et le 33eme tennô dans la
chronologie traditionnelle. Pourtant,
elle n’a pas porté ce titre de son vivant. C’est l’empereur Temmu qui l’adopte en
674 et le fait rétrospectivement appliquer aux souverains des époques antérieures.
A l’époque de Suiko, les rois ayant centralisé leur pouvoir dans la région du
Yamato, par dessus la structure tribale préexistante, portaient le titre d’ôkimi.
Il est intéressant de souligner l’existence d’un
pouvoir féminin puissant dans le Japon ancien. Il s’agit tout d’abord d’un
pouvoir religieux, aux ères Yayoi (-800, 250) et Kofun (fin IIIe-VIe
siècle), la chamane qui peut entrer en contact avec les dieux joue un rôle
très important dans la conduite des politiques. Dans le modèle appelé hime/hiko sei, (système de
complémentarité sœur ainée/frère cadet), elle régnait aux côtés d’un homme
souvent issu de sa famille et constituait une autorité religieuse tandis qu’il s’occupait
des affaires temporelles. Un exemple en est la reine Himiko, laquelle règne sur
sa chefferie entre 235 et 247 et est mentionnée par des chroniques chinoises.
Reconstitution du possible costume de la reine Himiko
(source *)
La légendaire impératrice conquérante Jingû qui aurait occupé le pouvoir dans
la chronologie traditionnelle de 201 à 269 est un autre exemple de ce respect
dût à la souveraine chamane. Par ailleurs, Jingû témoigne également d’un rôle
guerrier assumé par certaines de ces prêtresses qui portaient rituellement des
armes et intervenaient directement dans les campagnes militaires. Il est également
intéressant de souligner que si Jingû est généralement désignée comme une
impératrice consort, certains textes plus mineurs lui donnent le titre de tennô.
représentant l’impératrice
Jingû pendant sa conquête des royaumes coréens
Cette place importante accordée aux prêtresses se
retrouve également à la cour du Yamato. La plus importante est choisie parmi
les nobles, elle est chargée de faire quotidiennement des offrandes de
nourriture à la déesse du soleil, Amaterasu. Plus encore, c’est elle qui est
sensée exprimer la volonté des divinités, une fonction qui est à l’époque
perçue comme absolument vitale au maintien de l’harmonie. Une absence de grande
prêtresse capable de transmettre les paroles divines serait vécue comme une
catastrophe. L’une d’entre elles a par ailleurs occupé pouvoir en situation de
discorde. La princesse Itoyo, fille de l’empereur Richû, est choisie pour
diriger entre 484 et 485. L’empereur Seinei étant mort sans nommer de
successeur, les différentes factions se livrent une lutte sans merci. Itoyo
refuse le titre souveraine mais accepte de diriger jusqu’à ce que la situation
rentre dans l’ordre et que l’un des enfants de son défunt frère monte sur le
trône.
C’est une situation semblable qui va présider à l’avènement
de Suiko.
Choisie
pour ramener l’harmonie
Appelée de son vivant Princesse Kashikiya (Suiko est
un nom posthume), elle épouse à dix-sept ans son demi-frère, l’ôkimi Bidatsu, et est ainsi impératrice
consort pendant seize ans. Suiko ne succède pas immédiatement à son époux, en
effet, elle devient reine après un conflit entre factions rivales. Son oncle
maternel, Soga no Umako, est extrêmement puissant et promeut, entre autres, la
diffusion du bouddhisme. Le prédécesseur et demi-frère de Suiko, Shushun (règne
de 587 à 592) s’y est opposé, arguant la suprématie de la religion
indigène : le shintoïsme. Il aurait de ce fait été assassiné par
l’entremise d’Umako. Suiko est choisie car elle liées aux ôkimi suivants : elle est la fille de Kimmei (r.539-571),
l’épouse et la demi-sœur de Bidatsu (r. 572 à 585) et enfin la sœur de Yômei
(r.585-587).
Suiko doit sa position à ses liens avec le clan Soga.
Celui-ci opère sur le même mode que les Fujiwara à l’ère Heian, c’est-à-dire
qu’ils exercent une forte influence sur la famille royale en mariant leurs
filles aux monarques. En effet, si Suiko devient reine ce n’est pas à cause
d’un manque d’héritiers mâles mais par ce que sa mère est issue du clan Soga. Suiko
refuse d’abord de monter sur le trône mais finit par accepter. Sa première
décision est d’ailleurs de choisir pour capitale le port de Settsu afin de
servir les intérêts commerciaux des Soga.
Un nouveau titre est crée pour elle qui est la
première femme à régner en son propre nom. Elle est ainsi appelée sumeramikoto soit « celle qui
préside aux divinations », appellation basée sur une lecture japonaise des
caractères chinois signifiant respectivement « ciel » et
« empereur ».
C’est ainsi en 593, alors qu’elle est âgée de 39 ans,
que Suiko commence à diriger. Elle doit en apparence gérer une situation
délicate car il lui faut composer avec l’influence du clan Soga, représenté par
son oncle, mais aussi celle son neveu,
le prince Shôtoku qui est son régent et qu’elle nomme héritier en 600 après la
mort de son fils. Les historiens du XXe siècle ont supposé qu’en
tant que femme Suiko n’exerçait pas de pouvoir effectif, que son règne n’était
qu’un intermédiaire afin de permettre aux tensions de se dénouer. En vérité,
comme l’explique Pierre-François Souyri : « Aujourd’hui les spécialistes de la période sont beaucoup plus nuancés.
Suiko était reine et exerçait vraisemblablement le pouvoir réel avec Soga
Umako, principal responsable politique. Rien n’indique qu’à cette époque, les
Soga aient pu envisager une usurpation du pouvoir. »
Reconstitution d’un costume de femme la période Asuka
(593-710) (source *)
Costume d’une dame de cour à l’époque de Suiko (source *)
Une
diplomate lucide et efficace
Suiko possède de ce fait un certain nombre de
prérogatives très importantes. En effet si le terme de « régent » est
utilisé pour désigner l’office de Shôtoku, sa fonction n’a rien à voir avec
celle de ceux qui lui ont bien plus tard succédé et qui exerçaient le pouvoir à
la place du souverain. Les sources mentionnant Suiko la montrent au contraire
dans une position d’autorité face à ses ministres et son prince héritier.
Elle est premièrement la seule à pouvoir lever les
armées et envoie par exemple des troupes attaquer le royaume coréen de Silla
faisant également en sorte que celui-ci verse de nouveau un tribut au Japon.
Cet élément pourrait ainsi faire d’elle l’un des modèles ayant influencé
l’écriture de la légende de l’impératrice Jingû. Suiko joue ainsi un rôle très
important dans les affaires extérieures puisqu’elle envoie également des
émissaires à l’étranger. Sans doute son expérience en tant que veuve de
l’empereur Bidatsu l’aide-t-elle ici puisque c’est pendant le règne de ce
dernier que la cour du Yamato avait reçu des ambassadeurs coréens.
Les liens avec les autres puissances ne sont
cependant pas envisagés que sous un aspect uniquement agressif et militariste.
Les échanges culturels sont ainsi fortement encouragés et ce sont des érudits,
artistes et artisans étrangers qui viennent au Japon pour partager leur savoir.
Des Japonais partent également en Chine pour y étudier l’art et la littérature,
ce qui permet la diffusion des écrits bouddhiques mais aussi de la pensée
confucéenne. Le calendrier chinois est également introduit en 602. Fondé sur
des cycles sexagésimaux, il permet désormais de dater les faits avec beaucoup
plus de précision.
Suiko est également une autorité spirituelle et doit
à ce titre s’occuper d’un certain nombre de fonctions rituelles, comme l’indique
son titre. Elle est par exemple en charge des offrandes de nourriture que
doivent recevoir les dieux. Il est intéressant de constater que si Suiko est
une fervente bouddhiste, elle est consciente de l’importance de ne pas négliger
son devoir de prêtresse shintoïste
Bien d’autres éléments prouvent que Suiko est loin
d’être une dirigeante effacée. Au contraire,
elle prend son rôle à cœur et sait imposer sa vision des choses.
L’autorité
d’une impératrice
Suiko préside aux conseils et, lorsque des désaccords
surviennent parfois, se montre capable non seulement de riposter mais également
de faire accepter sa volonté. En 608, un émissaire japonais s’est rendu en
Chine d’où il est revenu avec une réponse de l’empereur, laquelle a été perdue
sur le chemin du retour car l’ambassadeur s’est fait voler ses biens. La
majorité est favorable au fait que l’émissaire soit puni pour ne pas avoir pu
mener la lettre à bon port. La souveraine s’y oppose et déclare qu’il ne doit
pas être inquiété. Une hypothèse suppose d’ailleurs que Suiko se soit servie de
sa connaissance des relations internationales pour comprendre le nœud de
l’affaire.
Même si elle est officiellement envoyée par Suiko, la
lettre aurait été écrite par son neveu. Or celle-ci commence par la mention du
souverain du « Pays du soleil levant » (le Japon) présentant ses salutations à celui du
« Pays du soleil couchant » (la Chine), une formule qui aurait eu de
fortes chances d’offenser le dirigeant en question. Si ce dernier avait fait
part de son indignation dans sa réponse, il est tout à fait possible que
l’ambassadeur ait jugé préférable de faire en sorte qu’elle soit perdue. En
effet la souveraine japonaise aurait été humiliée par la réception d’une
missive emplie de colère, ce qui n’aurait pas manqué d’aggraver les relations
entre les deux pays. Suiko aurait de ce fait révélé ici une grande perspicacité
en devinant ce qu’il en était véritablement.
De la même façon, son puissant oncle lui demande en
624 de lui donner une portion du territoire royal dans le bassin de Nara,
arguant que cette propriété appartient à sa famille. C’est là un moyen pour lui
d’accroître encore plus son pouvoir. Suiko n’hésite à s’opposer frontalement à
lui et répond à sa requête par la négative et ce de façon définitive. Elle agit
ainsi comme une souveraine qui doit avant tout préserver la propriété de l’Etat
et prouve que les liens familiaux ne doivent pas primer sur ses devoirs. Si
son oncle à joué un rôle crucial dans son accession au trône, c’est maintenant
elle qui règne.
Un règne
riche en réformes et en avancées
L’organisation étatique est également
considérablement transformée pendant cette période. Suiko y travaille, allouant
des moyens pour que le Japon n’ait pas à rougir des avancées de la Chine.
L’organisation s’inspire désormais beaucoup plus des modèles chinois et
coréens, en rendant le recrutement des fonctionnaires du gouvernement beaucoup
plus méritocratique et en revoyant le système de promotions. C’est d’ailleurs
en 604 qu’est établie une structure hiérarchique pour l’appareil d’Etat, le
souverain se trouvant au sommet. Ce sont des bases solides pour un état unifié
et stable.
Beaucoup de réformes du règne de Suiko sont
traditionnellement acceptées comme étant le fait du prince Shôtoku. Cependant,
il est à ce stade important de faire part d’une théorie ayant fortement gagné
en crédibilité ces dernières années et faisant état d’un certain nombre de
doutes quant à l’existence réelle de ce dernier, qui pourrait en réalité être
un personnage mythique puisqu’il est surtout mentionné dans des sources
postérieures. Certaines réformes lui étant attribuées seraient par exemple le
fait de Soga Umako.
Suiko joue également un rôle crucial dans la
propagation et l'acceptation du bouddhisme. Elle fait construire près de Nara le Horyû-ji, un temple doté d’une pagode à
cinq étages. Elle est également consciente de l’importance pour le Japon de se
doter d’une histoire écrite, puisque l’écriture a été importée de Chine au VIe
siècle, et que la mémoire des époques anciennes était autrefois transmise via
des récitations orales. Aussi ordonne-t-elle en 620 à Shôtoku et à Soga Umako
de rédiger l’histoire de sa famille mais aussi celle des clans importants.
Cependant, Shôtoku meurt théoriquement en 622 et les travaux effectués par
Umako sont plus tard perdus en 645 lorsque Soga Emishi incendie sa demeure pour
s’y suicider après une tentative de coup d’état.
Le temple Horyû-ji (source * )
L’éclipse
fatale
Suiko règne ainsi pendant 36 ans, ce qui tranche avec
ses plus proches prédécesseurs. En 628, elle tombe malade et devient aveugle au
moment même où une éclipse solaire se produit. La souveraine fait alors mander
deux jeunes princes qui sont ses successeurs potentiels et les conseille sur la
manière de bien diriger l’Etat. Elle décède finalement cinq jours plus tard, à
l’âge de 74 ans.
Souveraine réticente à l’origine, Suiko c’est ainsi
acquittée de sa tâche avec brio pendant la longue période où elle est restée au
pouvoir et ouvrant la voie à d’autres impératrices régnantes tout aussi
déterminées et puissantes.
Le prochain article racontera l’histoire de
l’intraitable nonne shôgun.
Bibliographie
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SOUYRI
Pierre-François, Nouvelle histoire du
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Encore un très bon article ! J'ai appris beaucoup de choses ^^ Je ne connaissais que peu de choses à propos de Suiko mais je suis heureuse d'avoir tant appris sur elle et de la voir enfin comme la juste et capable souveraine qu'elle était ^^
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