La première femme à avoir gravi l’Everest est Japonaise.
Pour ce premier article de 2018 je vous propose de découvrir le parcours de
Tabei Junko (1939-2016), rendant ainsi un hommage posthume à sa détermination.
Je tiens également à présenter mes excuses à mes lecteurs pour ce retard dans
la publication de cet article. Je me trouve actuellement au Japon depuis début
mars. Maintenant je suis bien installée dans ma nouvelle vie, la parution de
nouveaux articles devrait reprendre un rythme beaucoup plus régulier.
Photo de Tabei Junko (source : *)
Une enfance
provinciale
Junko est née le 22 septembre 1939 dans une famille
de sept enfants originaire de la province de Fukushima. Les premières années de
sa vie sont néanmoins impactées par la Seconde Guerre mondiale et ses
conséquences, lesquelles affectent durement le niveau de vie de sa famille.
Junko est d’ailleurs souvent malade durant son enfance. Elle ne grandit pas
au-delà du mètre quarante-sept.
Junko a déclaré avoir eu horreur du sport pendant son
enfance. Pourtant, cet état de fait change lorsqu’elle gravit, à l’âge de 10
ans, un volcan de sa région natale lors d’une sortie scolaire. Elle s’entraîne
par la suite en escaladant les collines de son village et continue de pratiquer
pendant toute sa scolarité.
Elle part ensuite étudier la littérature anglaise et
américaine à Tokyo en 1958, obtient son diplôme en 1962 et devient professeur.
En parallèle, elle décide de rejoindre un club d’alpinisme. L’alpinisme
d’après-guerre commence à s’ouvrir de plus en plus aux femmes, différents clubs
créent leurs branches féminines, et ce dès 1949. Cette discipline devient un
moyen pour les Japonais d’envisager de nouveaux horizons après la défaite et le
traumatisme de la guerre. Cependant, la société japonaise est encore très
marquée par le sexisme et les stéréotypes. La réaction des camarades masculins
de Junko n’est en effet pas des plus enthousiastes. Si certains parmi les plus
âgés lui expriment leur soutien, les plus jeunes au contraire sous-entendent parfois
qu’elle est simplement là dans le but de
trouver un mari.
Photo de Junko prise vers 1961 (source : *)
Mener les
femmes au sommet
Elle continue néanmoins de s’entraîner et développe
ainsi un véritable gout pour la discipline. Elle fonde un club d’alpinisme
féminin à Tokyo en 1969 (Joshi Tohan
Kurabu). Entre-temps, elle s’est mariée en 1966 avec un confrère alpiniste,
Tabei Masanobu, rencontré pendant l’ascension du dangereux mont Tanigawa. La
mère de Junko avait émis sa désapprobation : Masanobu n’était diplômé
d’aucune université. Leur fille, Noriko, est née en 1972. Son objectif s’affirme
ainsi peu à peu : gravir les plus hautes montagnes de l’Himalaya avec une
équipe intégralement composée de femmes, une chose sans précédent. Cependant,
il lui faut composer avec plusieurs contraintes : la difficulté de prendre
des congés, mais aussi le manque de fonds. À cette époque, Junko travaille en
tant que rédactrice en chef dans un journal scientifique et donne en plus des
leçons d’anglais et des cours de piano.
C’est en 1970 qu’elle participe sa première
expédition dans l’Himalaya, sur l’Annapurna III au Népal. L’équipe est
intégralement féminine, bien qu’accompagnée par des sherpas, et menée par
Miyazaki Eiko. Junko persévère face aux chutes de neige et atteint le sommet le
19 mai, il fait alors si froid que la pellicule de leur appareil photo se rompt.
Ce succès est désormais pour elle un point de non-retour : elle veut
désormais dédier sa vie à conquérir des sommets.
Junko sur l'Everest (source : *)
L’ascension
de la plus haute montagne du monde
C’est en 1975 que Junko entreprend de gravir
l’Everest. Elle obtient son permis auprès du gouvernement népalais en 1973,
mais doit attendre car les autorisations sont délivrées au compte-gouttes. Pour
cela, elle a mis en œuvre toutes ses qualités, remplissant à toute vitesse les
documents (en anglais) requis pour mener
à bien son expédition. Là encore, elle doit faire face à des contraintes
d’ordre financier : il lui est en effet très difficile de convaincre des
sponsors, beaucoup pensant qu’une expédition composée de femmes est
immanquablement vouée à échouer. Elle s’entend dire de rester à la maison et de
s’occuper de son enfant plutôt que de rêver de tels projets. Junko a plus tard
évoqué cette présomption d’incompétence à laquelle elle a fait face, expliquant
par exemple que les journaux de l’époque se moquaient des femmes alpinistes
comme elle, montrant des photos d’elles entrain de mettre du baume à lèvres
afin de les dépeindre comme incapables de se passer de maquillage, même en
montagne.
Ainsi, les femmes de l’équipe doivent mettre en œuvre
la majorité des préparatifs par elles-mêmes, notamment en cousant leurs propres
sacs de couchage. Si certaines contributions de dernière minute leur sont
apportées par le journal Yomiuri Shinbun,
chacune des participantes de l’expédition a néanmoins dû débourser environ
l’équivalent d’un salaire annuel moyen.
Si Junko était connue pour être une femme très
endurante, une de ses camarades raconte ne l’avoir vu souffrir qu’une seule
fois de mal aigu des montagnes lors d’une expédition en 1982, il convient de
rappeler l’ampleur du défi qu’elle s’est lancé. L’Everest est en effet la plus
haute montagne du monde et culmine à 8848 mètres. C’est le 4 mai 1975 que
Tabei Junko commence son expédition accompagnée d’une équipe de 14 femmes. Très
vite, elles font face aux dangers que leur réserve la montagne. Arrivées à 6500
mètres, les alpinistes sont prises dans une avalanche alors qu’elles viennent
d’installer leurs tentes. Junko se retrouve bloquée la tête enfouie dans les
cheveux de l’une de ses camarades, incapable de se dégager malgré ses efforts.
Elle s’évanouit pendant plusieurs minutes. À son réveil, elle a la chance de
constater que toutes ses équipières en ont réchappé grâce à l’intervention
providentielle de sherpas.
Bien que blessée dans l’avalanche, elle est incapable
de tenir debout pendant deux jours, Junko n’abandonne pas l’ascension, même si
elle doit parfois ramper. Le 16 mai 1975, elle atteint le sommet qu’elle
décrira comme « plus petit qu’un
tatami ». Tabei Junko a réussi son objectif : elle est la première
femme à avoir triomphé de l’Everest. Outre sa détermination, Junko est
également connue pour être une femme presque timide, sensible et empathique et
ce trait de personnalité c’est plusieurs fois exprimé au cours de son aventure.
Elle s’est par exemple mise à pleurer lors de la fête dédiée au succès de leur
expédition.
Junko sur le sommet de l'Everest (source : *)
Une icône pour
les femmes japonaises
Cette réussite propulse Junko au rang d’icône et elle
attire très vite l’attention des médias, chose qu’elle n’apprécie guère. En
outre, Junko devient en quelque sorte un modèle pour les femmes japonaises dans
une société qui commence à encourager les figures féminines plus actives. Si
ses choix peuvent paraître en rupture avec les valeurs traditionnelles :
elle part en montagne et laisse sa fille à son mari etc., Junko fait néanmoins
preuve d’un certain conservatisme, elle se décrit comme une « simple femme au foyer ». Cette
modestie la lie à des figures typiques de mère et d’épouse et contribue à son
succès, beaucoup plus que si elle s’était présentée en rupture avec tous ces
carcans. Ce n’est pas tout, si elle se définit ainsi, c’est également par ce
qu’elle ne veut pas considérer sa passion comme un travail.
Junko en pleine ascension en 1985 (source : *)
Son exploit connaît un très fort retentissement, à la
fois au Japon et à l’international et de nombreuses autres femmes marchent sur
ses traces dans les montagnes de l’Himalaya.
C’est par exemple le cas de la Britannique Alison Heargraves qui atteint
le sommet de l’Everest seule et sans oxygène.
Junko finit néanmoins par comprendre ce qu’elle
représente pour les femmes et présente l’alpinisme comme son métier, notamment
lorsqu’on lui demande de remplir des formulaires où il finit par noter sa
profession comme « alpiniste » au lieu du « femme au
foyer » qu’elle inscrivait auparavant. Et en effet, les nombreuses
activités de Junko prouvent qu’elle en a fait un choix de vie et un véritable
investissement.
La conquête
de nouveaux horizons
Junko s’investit en effet dans de nombreuses causes
et activités sociales. En 1990, elle contribue à la création du Himalayan Adventure Trust of Japan, qu’elle a
dirigé, luttant pour la préservation des montagnes et des environnements
naturels. Elle est également à l’origine de nombreux évènements, tels que des
symposiums sur la défense de l’environnement montagnard, un sommet sur les
femmes dans l’alpinisme en 1995…et la liste est encore longue. Elle se montre
extrêmement préoccupée par l’impact croissant des activités humaines sur les
montagnes, notamment l’Everest. Un autre combat lui tenant à cœur et
d’encourager plus de personnes à se tourner vers l’alpinisme et à suivre leurs
rêves. Elle a d’ailleurs publié plusieurs livres, narrant son histoire ainsi
que les dangers dont elle a triomphé au cours de son parcours.
Tabei Junko (source : *)
Qui plus est, Junko est loin de renoncer à
l’alpinisme et se lance toujours plus de nouveaux défis. Plusieurs des plus aux
sommets du monde figurent également à son palmarès. Notamment le mont McKinley
aux États-Unis (6194 mètres), le Kilimandjaro (5893 mètres) et bien d’autres
encore, en Amérique du Sud, en Europe et en Australie. Elle brave notamment les
avalanches et manque de perdre la vie en 1986 alors qu’elle se lance à l’assaut
du mont Tomur en Chine. En 1992, elle devient la première femme à avoir terminé
l’ascension des plus hauts sommets sur les sept continents.
Junko est motivée par le fait de se dépasser et de
relever des défis, non pas par l’aspect médiatique de sa pratique. Une femme
modeste, Junko apprécie le fait que l’alpinisme ne mette pas le grimpeur en
compétition avec les autres mais avec lui-même, le poussant à se dépasser
toujours plus En 1999, après avoir grimpé le
Pic de Pobeda au Kirghizistan, haut de
7439 mètres, ainsi que quatre des plus hautes montagnes de l’ex-URSS,
elle est récompensée par l’Ordre du Léopard des Neiges, une distinction pour
ceux qui ont gravi ces cinq sommets, alors qu’elle est sur le point d’atteindre
ses soixante ans.
En 2012, Junko apprend qu’elle souffre d’un cancer de
l’estomac. Cela ne met pas pour autant un frein à ses nombreuses activités et
continue de pratiquer l’alpinisme au Japon à l’étranger. En juillet 2015, elle réalise une action particulièrement notable en amenant des
jeunes gens affectés par la catastrophe du 11 mars 2011 en expédition
sur le mont Fuji. Elle décède finalement le 20 octobre 2016, à l’âge de 77 ans,
sans avoir jamais renoncé à ses rêves, sa passion ou ses convictions, sans avoir
laissé ceux qui voulaient lui faire croire que cela était impossible la limiter.
Junko lors de son excursion au mont Fuji (source : *)
Le prochain article suivra le parcours d’une
chrétienne intelligente et déterminée dans une époque de guerre et de
persécutions.
Pour aller plus loin :
-Liste des sommets gravis par Tabei Junko sur son
site officiel.
Bibliographie :
Livres
Kitamura
Setsuko, « Introduction », dans : Tabei Junko, Rolfe Helen Y.
(trad.), Honouring high places : the mountain life of Junko
Tabei, Victoria, Rocky mountain books, 2017, 376 pages.
McLoone Margo, Women Explorers of
the Mountains: Nina Mazuchelli, Fanny Bullock Workman, Mary Vaux Walcott,
Gertrude Benham, Junko Tabei, North Mankato, Capstone press, 1999, 48
pages.
Messner Reinhold, Boulard Claire (trad.), Femmes
au sommet, Paris, Arthaud coll. « Traversée des mondes », 2011,
235 pages.
Schiot Molly, Game changers: the unsung heroines
of sports history, New York, Simon & Schuster, 2016,
320 pages.
Tabei
Junko, Rolfe Helen Y. (trad.), Honouring high places : the
mountain life of Junko Tabei, Victoria, Rocky mountain
books, 2017, 376 pages.
Presse
Douglas
Ed, « Junko Tabei obituary », The Guardian, 10 novembre
2016, Accessible depuis : https://www.theguardian.com/world/2016/nov/10/junko-tabei-obituary,
consulté le 21 mars 2018.